L'agriculture entre la mort et la vie
Le temps des cerises... ne viendra plus
Au printemps 2016, un fait divers peu relayé dans la presse nationale m'a choqué profondément. Une centaine de producteurs de cerises se sont retrouvés le 7 avril 2016 à Bonnieux dans le Vaucluse et ont abattus 300 cerisiers en fleurs dans le verger de l'un d'entre eux. La vision de ces magnifiques cerisiers tronçonnés en pleine floraison, en plein espoir d'une récolte de belles cerises rouges, par ceux-là même qui devraient les planter et les soigner était d'une violence symbolique rare. Que peut-il se passer dans notre agriculture pour qu'on en arrive à de telles scènes?
Bien sûr cette action est encore une de celles de la FNSEA et des JA dont on sait tout le mal qu'ils font à l'agriculture et aux agriculteurs (voir 70 ans de mauvais et déloyaux services). Le motif de cette manifestation était que la France a interdit le diméthoate un insecticide très dangereux interdit dans de nombreuses productions sauf pour la cerise jusqu'alors car il détruit la mouche suzukii ou mouche du cerisier. Cette petite mouche apparue en France il y a 5 ans pond ses oeufs dans la cerise et ses larves s'en nourrissent. D'autres pesticides existent mais sont moins puissants (et moins nocifs ce pourquoi ils sont autorisés, eux). Sans ce pesticide, environ 50% des cerises sont touchées entrainant un tri manuel et donc un surcoût. Les cerisiculteurs FNSEA demandaient à coups de tronçonneuses dans leurs arbres "qu'on les laisse travailler", c'est-à-dire utiliser ce pesticide dangereux pour le balancer dans l'atmosphère et en gorger les cerises qu'ils comptaient nous faire manger ensuite.
Leur autre argument était que ce pesticide n'est pas encore interdit dans d'autres pays européens et que le marché français serait inondé de cerises moins chères puisque ayant été traitées et n'ayant donc pas besoin d'être triées. Le gouvernement pour une fois est resté ferme, n'a pas réautorisé (pour l'instant) ce pesticide et a interdit l'importation de cerises traitées au diméthoate. En effet, l'Union Européenne ne permet pas d'interdire l'entrée d'un produit étranger au motif qu'il est étranger car la nationalité d'un produit n'est pas un gage de qualité (n'en déplaise au logo Viande de porc français qui cache les élevages industriels porcins bretons qui n'ont rien de mieux que leurs collègues allemands). L'Union Européenne accepte cependant qu'un pays interdise l'entrée d'un produit pour des motifs de santé ou d'environnement. La France a donc fait jouer la clause de sauvegarde européenne, ainsi que l'Espagne et l'Italie, et aucune cerise traitée au diméthoate ne peut être vendue dans ces 3 pays qui refusent cet insecticide. Si la France le fait peu d'habitude dans le domaine agricole, c'est surtout parce que la FNSEA qui tient lieu de ministre de l'agriculture la plupart du temps est pour le développement des pesticides.
La crise s'est donc règlée, et par le haut, pour une fois : le diméthoate est toujours interdit puisque toujours dangereux et l'Europe et une décision politique ont permis d'éviter les pires problèmes aux cerisiculteurs et de faire progresser l'interdiction du pesticide au niveau européen.
Il n'en reste pas moins l'image de ces cerisiers en fleurs abattus. Pourquoi est-elle si forte symboliquement? Parce que le cerisier en fleur, c'est le printemps, ce sont ces flocons blancs sur le bois noir dans un premier soleil. C'est la promesse de l'été et de ce fruit merveilleux, gourmandise totale, gobée ou croquée dans les rires d'enfants qui arborent fièrement des pendants d'oreilles. Parce qu'au contraire cette action était la destruction de ces promesses, de cette joie de vivre, de ces magnifiques arbres couverts de fleurs pour pouvoir utiliser un produit mortifère comme les pesticides. Ceux qui devaient soigner leurs arbres et nous permettre ces moments de vie, ont tué leurs arbres et leurs promesses de récoltes successives pour avoir le droit d'utiliser du poison. En cela cette action est symbolique de la dérive mortifère d'une partie de notre agriculture.
Agriculture productiviste et pulsion de mort
La pulsion de mort est le fait de vouloir détruire la vie, le vivant et ses caractéristiques. Cette pulsion est au coeur de l'agriculture productiviste alors que paradoxalement le but de l'agriculture est de produire du vivant pour nourrir, faire vivre, du vivant.
Le champ et l'usine.
Cette agriculture techniciste est née au début XXe siècle avec la chimie, la mécanisation et l'idéologie de progrès dans laquelle l'homme doit maîtriser la nature grâce au feu et à la technique. Cette agriculture ne s'est donc pas faite avec la nature et le vivant mais contre eux car nature et vivant sont des éléments fluctuants donc mal maîtrisables si l'on pense comme à l'époque en tant qu'ingénieur. Pour eux, une production efficace c'est le modèle de l'usine et du travail à la chaîne : production en série, en grand nombre, standardisée et dont la variable vivante, l'ouvrier, est maîtrisée grâce à la répétition chronométrée d'une tâche élémentaire. C'est le rôle de la chaîne qui n'apporte pas les éléments devant l'ouvrier mais a pour but de forcer l'ouvrier à plier son rythme à celui de la machine pour contrôler cet élément vivant. Tout le monde a en tête Chaplin dans Les temps modernes qui boulonne en rythme, mais qui se souvient de ce qui le fait perdre le rythme? Une abeille qui bourdonne à côté de lui. Le voila le cauchemar de l'ingénieur, ce n'est pas le grain de sable dans l'engrenage, c'est l'incursion de la vie et de son imprévu dans la chaine de production. C'est là toute l'histoire de notre agriculture dite moderne, productiviste ou intensive mais qui est surtout techniciste : elle veut supprimer la vie et ses imprévus, ses aléas pour produire avec la régularité des machines. Le problème est que supprimer les aléas du vivant quand on produit du vivant pour nourrir du vivant, ce n'est pas facile et cela ne peut marcher à terme.
Production en série et monoculture.
Le premier principe hérité de l'usine est la production en série et la spécialisation. En agriculture c'est la monoculture. La polyculture était la règle jusqu'au XIXe siècle car plus efficace à l'échelle de l'exploitation. Le XXe siècle se tourne vers la spécialisation et la monoculture : une seule plante sur une exploitation la plus grande possible et travaillée avec des machines. Dans la nature cela n'existe pas : la diversité est la règle. Laisser un carré de terre nue et des dizaines de plantes différentes vont pousser amenant une diversité d'êtres vivants. Il y a donc un problème pour cette agriculture moderne : supprimer la diversité du vivant.
La guerre pesticide.
Pour n'avoir qu'une plante dans un champ, il faut supprimer les autres qui deviennent des "mauvaises" herbes. Comme on cultive une seule plante, elle est plus fragile aux insectes, aux bactéries et aux champignons qui deviennent eux aussi nuisibles. La chimie en plein essor début XXe siècle apporte la réponse avec les pesticides qui progressent de guerre en guerre. En effet l'industrie chimique a longtemps eu deux clients principaux : la guerre et l'agriculture. Les premiers pesticides sont issus des gaz de combat de la Première Guerre Mondiale. Le zyklon B utilisé par les nazis dans les camps d'extermination est au départ un pesticide "contre les poux et les ravageurs des récoltes" produit par la firme IG Farben rassemblant trois sociétés chimiques BASF, Agfa et Bayer, le toujours géant des pesticides. De même, l'agent orange est un herbicide défoliant produit par Monsanto, que l'armée américaine a utilisé pendant la guerre du Vietnam contre la population civile. Cette guerre pesticide contre la diversité du vivant a abouti puisqu'un champ de céréales cultivé chimiquement est actuellement un des milieux avec la plus faible biodiversité au monde que ce soit en plantes, en animaux, en bactéries ou en champignons puisque les pesticides ont même détruit la microfaune et la microflaure des sols présentes partout ailleurs.
OGM et vivant mortifère.
Le développement des OGM est dans la droite ligne de cette guerre pesticide. En effet les OGM développés aujourd'hui ne servent pas à nourrir le monde ou à faire fleurir le désert comme l'ont promis les firmes qui les développent. Il y a deux grandes voies dans la recherche OGM : soit faire qu'une plante synthétise elle-même un pesticide comme dans le cas du maïs Mon810 qui sécrète dans toute la plante un insecticide contre la Pyrale du maïs et la Noctuelle du maïs ; soit faire qu'une plante résiste à un herbicide que l'on pourra alors épandre sur le champ pour tuer les autres plantes comme dans le cas des plantes Round Up Ready de Monsanto qui résiste au Round Up. Dans les deux cas les OGM prolongent la guerre pesticide en transformant le vivant, la plante par modification génétique. Ils rendent toutefois les pesticides encore plus présents dans la plante ce qui nuit à la santé humaine car ce qui est fait pour détruire les êtres vivants (papillons) qui mangent la plante ne peut qu'être nocif pour les autres êtres vivants (humains ou animaux d'élevage) qui mangent cette même plante.
Chimie et mort du sol.
L'autre apport de la chimie à l'agriculture sont les engrais chimiques. Ils datent aussi du lendemain de la Première guerre mondiale qui laissaient l'industrie chimique avec des stocks d'azote que la Grande Guerre n'avait pas épuisés sous forme de bombes et obus. Qu'en faire? Des engrais chimiques composés principalement d'azote. Les engrais chimiques servent à nourrir les plantes directement avec les éléments minéraux NPK. N l'azote, P le phosphore et K le potassium sont les trois éléments nutritifs qui permettent le développement des plantes, dans l'ordre : des feuilles, des racines et des fruits. L'agriculture traditionnelle donnait aux plantes un sol riche en humus, en matière organique dans lequel elles puisaient ces éléments dégradés par la microfaune et la microflore du sol. Pour l'agriculture techniciste, trop de vivant, trop d'imprévus. Le chimiste peut synthétiser ces éléments et les donner directement à la plante. Le sol ne sert plus à alimenter la plante mais juste à la tenir debout. Le problème est que les sols se sont appauvris en humus, en matière organique et ont été saturés de ces engrais de synthèse. Avec l'ajout simultané de pesticides, cela conduit à une véritable stérilisation des sols et à la disparition de toute vie dans ceux-ci.
Le hors-sol comme agriculture rêvée.
Cette démarche se prolonge dans l'hydroponie visible sur la dernière photographie. Le principe : si le sol n'est plus qu'un subtrat pour tenir la plante, autant cultiver hors sol. La plante est donc dans des serres avec des conditions de chaleur, de luminosité, d'hygrométrie que l'on maîtrise. La plante est accrochée à des tiges ou posée dans des supports avec les racines pendant dans un liquide nourricier dosé en engrais de synthèse selon les besoins de la plante, besoins analysés par des sondes au pied. Les risques de maladie et de parasite sont traités préventivement par des pesticides ou la destruction des plants à la moindre anomalie. Quant à la pollinisation, elle est assurée par des bourdons installés dans la serre et non l'insecte du dehors ou l'abeille tout-venant car elle pique : elle n'est décidément pas aimée des ingénieurs et des usines car après avoir dérangé Charlot boulonneur, elle pourrait déranger les nouveaux Charlots cueilleurs de tomates.
La voila enfin l'agriculture rêvée des ingénieurs : le vivant n'a plus d'aléa. Tout est maîtrisé : une seule plante à l'infini, plus de problèmes de météo, de sols, de maladies, de concurrence d'autres êtres vivants. C'est pur, c'est parfait, ça déroule comme un cahier des charges. C'est du vivant technicisé, du vivant augmenté comme dirait des ingénieurs. Sauf que...
Une agricuture destructrice.
Sauf que si l'on parle technique, l'agriculture c'est une histoire d'énergie, de conversion d'énergie. L'agriculture, c'est convertir des calories d'origines solaire, humaine, animale, issues du pétrole, de l'électricité en calories alimentaires. Et bien sûr le but d'une conversion énergétique est de perdre le moins d'énergie au passage. Quand on fait pousser une plante au soleil en la cultivant avec le travail humain ou animal, le bilan énergétique de l'agriculture peut être correct. Par exemple une étude réalisée en Chine au début du XXe siècle dans une agriculture traditionnelle montrait que pour 1 calorie d'énergie apportée, on produisait 40 calories de nourriture (le reste de l'énergie étant apportée par le soleil grâce à la photosynthèse). L'agriculture actuelle avec mécanisation, engrais, pesticides et irrigation consomme 12 calories d'énergie principalement issue du pétrole pour produire 1 calorie d'aliment ce qui est un très mauvais bilan. L'hydroponie a un bilan catastrophique : entre les plastiques et matériaux de la serre, les engrais et pesticides chimiques, le chauffage, l'éclairage, les systèmes de pompe, c'est une véritable débauche d'énergie le plus souvent d'origine fossile ou nucléaire qui est dépensée pour produire 1 calorie d'aliment. En période de nécessaire descente énergétique avec la raréfaction du pétrole qui reste la principale source d'énergie de l'agriculture, cette agriculture n'est pas viable. Dans l'absolu, elle est inacceptable puisqu'elle n'est que gâchis et destruction d'énergie alors que d'autres solutions consomment moins d'énergie.
Ferme usine et négation du vivant.
Ce hors-sol techniciste qui permet de maîtriser le vivant n'est pas réservé qu'aux plantes. L'élevage est frappé aujourd'hui à travers les fermes-usines que ce soient la ferme des 1000 vaches, celle des 1000 veaux, ou celles des porcs et poulets par dizaine de milliers. Dans ces hangars-usines, la négation du vivant est poussée à son maximum. Le simple élevage de poules pondeuses en batterie est une usine de production d'oeufs dont la machine est la poule. Elle est enfermée dans une cage d'une taille juste un peu supérieure à celle d'une feuille A4 d'où elle a accès à une alimentation pour faire son oeuf quotidien. Elle ne sort jamais ni ne se promène mais personne n'a jamais vu une usine où l'on sortait de temps en temps les machines pour qu'elles aillent se se dégourdir les jambes. Dans la ferme des 1000 vaches, le fonctionnement est le même mais le bon ingénieur a optimisé le système en faisant trois productions : le lait, le veau et le plus important, la bouse, pour produire de l'énergie. L'automatisation et la mécanisation sont présentes comme le montre la salle de traite sur l'image. Dans cet élevage hors-sol et les fermes-usines, la négation du vivant est complète, l'animal n'étant considéré que comme une machine à produire dans un hangar.
L'agriculture productiviste ou techniciste rêve donc de produire du vivant sur le modèle de l'usine. Elle est donc profondément animée par cette pulsion de mort car elle pense le vivant comme une contrainte, comme des imprévus qui rentrent mal dans les cases d'un cahier des charges industriels ou d'un tableau comptable. Elle doit donc supprimer les aléas du vivant. Quand la vie biologique est profusion et diversité, elle choisit la monoculture et supprime "mauvaises" herbes et parasites dans une guerre pesticide qui trouve son apogée dans les OGM. Au lieu de s'appuyer sur la création de matière organique dans un sol vivant, elle lui préfère des éléments chimiques de synthèse qui finissent par détruire toute vie dans les sols. Au lieu de s'appuyer sur le miracle de la photosynthèse qui transforme le soleil en nourriture, elle invente des usines hors-sol de production végétales qui ne font que détruire de l'énergie. Enfin elle réduit des animaux au rang de machines de production niant ainsi ce qui fait la spécificité du vivant.
L'agriculture du vivant
Le biomimétisme.
Cette idée de biomimétisme n'est pas que philosophique. Elle vient du constat fait par les sciences naturelles comme l'écologie de la performance des écosystèmes naturels. Prenons le cas d'une forêt primaire (non transformé par l'homme) : elle produit des arbres, des fruits, des fleurs pour nourrir quantité d'êtres vivants. Personne ne vient lui apporter d'engrais mais la vie foisonnante du sol (vers et insectes, champignons, bactéries) créé un humus riche qui nourrit ces grands arbres. Personne ne soigne ces plantes mais la diversité des espèces faits que l'écosystème tout entier va bien et se renouvelle même quand une maladie apparaît chez certains sujets. Personne ne vient nettoyer cette forêt car les arbres morts tombent au sol, sont dégradés et viennent nourrir leurs congénères. Pour cet écosystème, il ne faut que peu d'apports extérieurs, un peu d'eau et la seule source d'énergie inépuisable : le soleil pour permettre la photosynthèse. Ce système naturel est donc sans déchet, économe, hautement productif et autonome. L'idée du biomimétisme est donc de prendre pour modèle ces systèmes naturels terriblement efficaces et vertueux pour créer des agricultures du vivant au lieu du modèle de l'usine qui a conduit à une agriculture mortifère (voir l'article Les bienfaits de Dame Nature ou les services écosystémiques).
Gérer les cultures en s'inspirant de la nature.
La lutte biologique est sans doute la plus connue et la plus ancienne de ces pratiques agricoles du vivant. Lorsqu'on veut de se passer de pesticides de synthèse dans une culture classique, il est nécessaire de gérer les populations d'insectes et c'est le rôle de la lutte biologique. L'exemple le plus connu est la coccinelle et le puceron. Au lieu de détruire les pucerons de mon jardin avec des pesticides, j'introduis leur prédateur naturel qu'est la coccinelle qui va non pas détruire mais gérer les populations car tant qu'il y a trop de pucerons, elle reste mais quand il n'y en a plus assez pour se nourrir, la coccinelle s'en va. Le biomimétisme commence par là : s'inspirer de la nature pour gérer les cultures.
Nourrir les cultures par le vivant.
L'utilisation de compost, de couvert végétal, de paillage, de BRF (bois raméal fragmenté), de buttes de culture suit aussi le modèle vivant en terme de fertilisation. Plutôt que d'utiliser un cocktail de NPK de synthèse, il s'agit d'utiliser dans ses cultures une fertilité qui s'inspire de l'humus forestier. Soit j'apporte directement de la matière organique, du compost, soit je recouvre le sol de matière organique à décomposer (paillis), soit je créé un sol humifère en mettant en place de la matière organique plus ou moins décomposée par couches dans laquelle je planterai et que les insectes, bactéries et champignons transformeront. Le couvert végétal consiste lui à s'inspirer, non de l'humus forestier, mais de la particularité des légumineuses qui est de fixer l'azote aérien dans le sol pour le rendre disponible aux autres plantes. Ainsi on sème ou plante directement dans un champ de légumineuses type trèfle qui va apporter de l'azote aux plantes cultivées mais aussi limiter l'évaporation de l'eau et permettre une multitude d'insectes évitant toute prolifération d'un insecte prédateur de la culture faite.
Organiser les cultures selon la nature.
Le biomimétisme se retrouve aussi dans les cultures associées développées dans le très célèbre livre au titre réjouissant Le poireau préfère les fraises. Le biomimétisme va ici plus loin car il change l'organisation des cultures en reprenant la caractéristique naturelle fondamentale qu'est la diversité. En effet, il n'y a naturellement jamais une seule plante à un endroit mais plusieurs. Dans les cultures associées c'est la même chose mais les plantes sont choisies pour que chacune apporte aux autres. Le potager ou le champ n'est pas sagement rangé commme une collection botanique, espèce par espèce, mais au contraire les plantes se mélangent. Cultiver les poireaux, oignons ou ails dans les fraises leur évite des moisissures, cultiver ensemble oignons et carottes chassent réciproquement leurs mouches respectives, le basilic sous les tomates évitent le mildiou... Toutes ces plantes s'entraident contre leurs maladies ou leurs parasites. Les associer c'est aussi mettre en place des plantes qui vont se succéder préparant le sol pour la culture suivante ou des plantes qui ne vont pas se concurrencer dans les nutriments tirés du sol... C'est là le changement fondamental des cultures associées : ne pas considérer qu'un potager ou un champ c'est une plante cultivée et l'homme comme unique agent de culture. Au contraire la tâche de l'homme est de mettre en relation des plantes, des êtres vivants pour qu'ils s'entraident.
Concevoir les cultures selon la nature.
Cette pratique va plus loin dans ce que l'on appelle permaculture (comme pratique culturale seulement), agroécologie ou agroforesterie. Même si de nombreuses et subtiles différences peuvent être faites entre ces pratiques, je n'en ferai pas. Pour moi il s'agit toujours de recréer dans le champ un écosystème, c'est-à-dire un système composé de différents êtres vivants qui s'entraident réciproquement et ont tous plusieurs fonctions. Autrement dit, un système d'êtres vivants interdépendants et plurifonctionnels. Prenons un cas simple et souvent bien connu : la milpa ou les trois soeurs. Cette pratique agroécologique mexicaine associe dans le champ trois plantes : haricot, maïs et courge. Le maïs sert à être consommé mais a aussi une tige forte qui sert de tuteur au haricot. Le haricot, lui, sert aussi de nourriture mais apporte de l'azote au sol qui permet au maïs et au courge, deux cultures gourmandes de bien se développer. La courge qui sert également de nourriture, court sur le sol et le maintient humide. Ainsi les autres plantes ont un sol frais, vivant puisque non stérilisé par le soleil et le couvert des courges abrite une multitude d'insectes variés ce qui évite les pullulations d'insectes prédateurs du maïs. Le champ est devenu un écosystème productif alliant des plantes qui servent à l'alimentation et au développement des autres plantes, et des êtres vivants, insectes et vie du sol. Permaculture, agroécologie et agroforesterie se retrouvent sur ce même principe de recréation d'un écosystème, l'agroforesterie ayant pour seule particularité de mettre obligatoirement des arbres ou des haies dans l'écosystème créé mais les deux autres les emploient souvent aussi comme le montre les forêts-jardins développées par les permaculteurs.
Se laisser guider par le vivant vers une nouvelle agriculture.
Toutes ces pratiques agricoles ont pour point commun de se laisser guider par le vivant, par l'observation de la nature pour l'adapter à l'enjeu de la production alimentaire. Il y a encore de nombreuses pistes à suivre que le vivant met sous nos yeux. L'utilisation de l'arbre est bien sûr à intensifier chez nous en climat tempéré car la forêt est le milieu naturel, l'écosystème primaire sous nos latitudes (voir ici). Ainsi elle est donc à même d'être la plus productive sous nos climats et il serait bon de s'en inspirer pour penser d'autres modèles agricoles car on peut se nourrir d'arbres et de buissons. En effet ils produisent fruits et baies, mais aussi des sucres lents (chataignes), des protéines et oléagineux (noix, noisettes, amandes...) et peuvent être des lieux de pacage pour les bêtes en même temps que des lieux de production de bois-énergie et de matières premières. Les forêts-jardins sont donc une voie agricole importante, à côté de notre voie agricole issue de ses steppes originelles du Moyen-Orient où la plante de référence est la graminée annuelle.
Un autre chemin complémentaire est montré par le vivant : les plantes vivaces (voir l'article De nouvelles variétés pour une nouvelle agriculture). En effet, de par cette même origine, notre agriculture s'est orientée vers les plantes annuelles mais la nature, elle, parie aussi sur les vivaces. En effet nos plantes potagères, nos céréales sont toutes des annuelles. Au mieux certaines comme les cardes sont bisannuelles et nous permettent de nous nourrir au début du printemps quand les autres ne sont encore que graines et que les récoltes passées ne sont plus que souvenir. Quelles vivaces consommons-nous? Les artichauts, les quelques légumes perpétuels comme le chou vivace ou le poireau perpétuel. Très peu en fait alors que ces plantes par leur pérénnité même sont des aliments de premier choix. Pourquoi ne pas développer des vivaces alimentaires comme notre agriculture l'a fait pendant 5000 ans pour développer des annuelles?
Enfin l'idée d'écosystème est fondamentale dans la nature alors que l'activité humaine est souvent segmentée. Le modèle de l'écosystème doit aussi être celui de l'exploitation agricole en elle-même : toutes les productions, tous les éléments qui la composent doivent être plurifonctionnels et interdépendants pour qu'elle soit efficace, autonome et vertueuse.
Permettre et entretenir la bioabondance.
Pourquoi suivre le vivant et la nature? Pourquoi une agriculture biomimétique? Pour une seule raison : la bio abondance. Cette idée est développée dans le formidable livre Permaculture de Perrine et Charles Hervé-Gruyer Alors que les processus technologiques humains ne font que transformer la matière et l'énergie en en détruisant un peu au passage, les processus biologiques créent de la matière, augmentent les ressources principalement à partir de la photosynthèse et de l'énergie infinie du soleil. C'est cela la bioabondance : le vivant peut créer des ressources et l'homme peut prendre une part de ces ressources à condition que la part prise ne mette pas en péril le vivant. Dans cette perspective de bioabondance, l'agriculture change. Elle n'est plus : je consomme du pétrole, ressource finie dans les deux sens du terme, pour mon tracteur, mes serres chauffées, mes engrais et mes pesticides en détruisant le vivant. Elle devient : j'entretiens le vivant, j'aide le sol à être fertile pour qu'il fasse pousser mes plantes, pour profiter de la bioabondance et en tirer mes ressources sans la mettre en péril. L'agriculteur redevient ainsi celui qui cultive la terre, qui la soigne qui doit gérer et entretenir les processus biologiques, les écosystèmes de ses cultures pour permettre la bioabondance.
Encore un article d'agribashing?
Qualifier une agriculture de mortifère et basée sur une pulsion de mort pourrait être qualifié d'agribashing. Mais c'est oublié que cet article consièdre bien deux agricultures opposées. L'agriculture aujourd'hui est donc bien entre la mort et la vie. Il y a peut-être de multiples pratiques agricoles mais elles peuvent se diviser en deux voies opposées. L'agriculture productiviste est une agriculture techniciste et mortifère qui prend l'usine pour modèle et ne tolère pas l'imprévu du vivant. L'agriculture ou les agricultures du vivant se développent en suivant la nature et le vivant (biomimétisme) pour permettre et entretenir une bioabondance.
Cela pose donc une question : c'est quoi l'agribashing? Cette expression vient de Christiane Lambert, dirigeante de la FNSEA et vise tous ceux qui s'opposent à l'agriculture productiviste. Cette expression qui tient maintenant souvent lieu d'inculpation et a été reprise par le gouvernement, repose sur le mythe dénoncé dans cet article, celui d'une seule agriculture. Le procès en agribashing sert à empêcher toute contestation du modèle productiviste et mortifère qui est celui promu par la FNSEA. S'il n'y a qu'une agriculture, toute attaque contre l'agriculture productiviste devient une attaque contre l'agriculture en général, devient de l'agribashing.
Si au contraire on prend en compte la réalité de ces deux agricultures opposées que voit-on? Toutes les attaques que la FNSEA qualifie d'agribashing ne s'en prennent pas à l'agriculture en général mais à son modèle d'agriculture productiviste (ferme industrielle, bassines, ...) et sont faites par d'autres agriculteurs qui défendent une agriculture du vivant. Par exemple, toutes les actions dénoncées comme agribashing par la FNSEA et le gouvernement sont soutenues ou à l'initiative de la Confédération paysanne, 2e syndicat agricole. L'agribashing n'est donc que le mensonge de la FNSEA pour discréditer toute remise en cause de son modèle destructeur et inefficace d'agriculture.
Il est donc impératif de dénoncer l'agribashing qui est un acte de propagande de la FNSEA pour faire disparaître la vraie lutte qui existe au sein de l'agriculture entre un modèle passéiste, productiviste et mortifère qu'elle défend et une agriculture du vivant qui est la seule souhaitable et possible à long terme.
Juillet 2016- révisé et augmenté février 2023