Champs de bataille 4 : Crise de l'élevage : Quelles crises pour quels élevages?
Le feuilleton FNSEA de l'été 2015 : La crise de l'élevage.
"L'élevage français est en crise. Les paysans français vont mourrir à cause des méchants éleveurs allemands. La France risque de perdre son agriculture et son indépendance alimentaire. Heureusement la FNSEA est là, Xavier Beulin à sa tête et derrière lui des milliers de paysans sur leurs tracteurs, qui vont tordre le bras au gouvernement et aux distributeurs pour sauver l'agriculture et la France."
Voila le message que l'on a entendu tout cet été 2015 à longueur de médias et d'épisodes successifs qui trouvent leur apothéose dans la marche triomphale ou plutôt la jacquerie motorisée du 3 septembre : Beulin avait averti au cours de l'été, on ne l'a pas entendu, les tracteurs sont venus et le gouvernement a cédé.
Un vrai scénario hollywoodien avec des méchants : les distributeurs, le gouvernement et les allemands (c'est un vieux réflexe français), des victimes innocentes : les éleveurs, et des héros : les tracteurs, la FNSEA et Xavier Beulin, le Spartacus des champs. Le problème des scénarios hollywoodiens, c'est que c'est du chiqué comme disait ma grand-mère.
Ce scénario made in FNSEA du feuilleton de l'été n'échappe pas à la règle. En effet, ce n'est pas l'élevage français qui est en crise car il n'y pas d'élevage français mais des élevages différents et qui ne subissent pas tous la crise. Il y a des élevages différents selon les animaux et surtout le mode d'élevage : un porc bio en liberté ou un porc en batterie, ce n'est pas le même élevage. La FNSEA a délibérément généralisé les problèmes de deux élevages particuliers en en faisant l'élevage français. Au début de l'été, les problèmes sont apparus sur l'élevage bovin laitier puis l'essentiel du débat s'est déplacé pour ne plus porter que sur l'élevage porcin en batterie, principalement breton, à tel point que les éleveurs laitiers venus à Paris le 3 septembre se sentaient souvent bien seuls et à la limite hors sujet.
D'autres élevages ne sont pas en crise. L'élevage caprin va plutôt bien dans les petites unités qui assurent la transformation de leur lait en fromage ou qui livrent des coopératives pour la fabrication des fromages AOC dont le nombre ne cesse d'augmenter (13 AOC chèvres actuellement dont 4 apparues depuis 2001). L'élevage de canard gras va bien. L'élevage de volailles pondeuses se porte correctement dans le haut de gamme (bio, label, plein air, fermier). La situation est difficile pour les éleveurs de pondeuses en batterie mais personne ne regrettera un élevage qui a crié au scandale quand l'UE a augmenté la surface de vie d'une poule dans sa cage : de la taille d'une feuille A4, on est passé à une feuille A4 et 2 tickets de métro. De même, l'élevage de volaille de chair de qualité (fermière, bio, labellisée ou AOC) va très bien. Les élevages de volaille de chair qui ont souffert depuis 2010 étaient aussi des grandes batteries de volaillers industriels comme l'entreprise Doux. Ces difficultés sont liées à un modèle économique aberrant : ils produisaient du poulet bas de gamme en France, nourri au soja brésilien pour l'exportation de poulets congelés au Brésil. Tant qu'à produire n'importe quoi, les Brésiliens ont finalement préféré le faire eux-mêmes.
Enfin, en règle générale, les chiffres de l'élevage biologique sont bons : les conversions progressent, les prix sont plus rémunérateurs et surtout plus stables. Quant aux marges, elles sont aussi plus stables puisqu'il y a moins d'intrants ou que les prix de ces intrants sont plus stables. Mais la FNSEA dirait qu'un éleveur bio ce n'est pas un agriculteur.
Reste deux filières d'élevages, les élevages porcin et bovin, où la crise est réelle et il est nécessaire de s'y plonger pour voir son ampleur et ses causes.
Quelle crise de l'élevage porcin?
Cet été, c'est donc l'élevage porcin que la FNSEA a mis sur le devant de la scène et surtout sur le devant de la table des négociations. Alors quelles crises touchent l'élevage porcin français?
Les filières porcines de qualité vont bien.
Tout d'abord il n'y a pas une crise généralisée de l'élevage porcin. La viande de porc de qualité supérieure (fermier, de plein air, labelisée, bio ou AOC) n'est pas en crise et la production est même insuffisante par rapport à la demande française, sans parler des exportations possibles vers de nombreux pays qui n'ont plus de filière qualité suffisante. Ce sont les cochons de la première image qui vivent dehors une partie de l'année, se promènent, trouvent une partie de leur nourriture en fouissant et reçoivent une nourriture de qualité voire biologique comme ce cochon de Thomas Glickmann des Jardins de Manally. Mais cet élevage qualitatif qui respecte animaux et consommateurs, ce n'est pas non plus de l'élevage selon la FNSEA.
La crise de l'élevage porcin industriel et breton.
L'élevage porcin selon la FNSEA et les éleveurs montés à Paris, c'est l'élevage porcin breton en stabulation sur caillebotis que l'on voit sur la 3e image, c'est-à-dire l'élevage industriel ou hors-sol. Il représente 95% des porcs produits en France. La Bretagne est la championne de ce modèle et produit 2/3 des porcs français quasi exclusiment en stabulation sur caillebotis comme le montre la 3e image. Alors quel est cet élevage et quelles crises traverse-t-il?
L'élevage industriel porcin, un modèle agricole catastrophique.
Le terme en stabulation sur caillebotis signifie que les cochons sont élevés entièrement en bâtiment, de la salle de naissance à la salle d'engraissement jusqu'à leur seule sortie pour le camion de transport vers l'abattoir. Un petit film de l'association L214 montre cette vie. Ce film présente l'intérêt de ne pas nous montrer le pire ou des images chocs mais simplement cet élevage : il a été filmé lors d'une journée porte ouverte dans une ferme et le présente à son avantage. Pourtant même là on se rend compte du caractère inacceptable de cet élevage industriel hors sol en voyant ces porcs enfermés à vie qui ne verront jamais l'extérieur et ne feront qu'engraisser, sans bouger, des nourritures qu'on leur apporte.
Les caillebotis sont ce plancher rainuré qui laisse passer les excréments, le lisier, qui est ensuite collecté pour être épandu sur les champs. Deux inconvénients : l'animal n'a plus de paille, de litière et vit à même le sol. L'absence de paille fait que le lisier pur épandu sur les champs est nocif pour le sol, les eaux ou même l'air. Ce lisier est à la fois la cause de la pollution des rivières bretonnes, des marées vertes sur les côtes mais aussi d'un fort dégagement de protoxyde d'azote, un GES, gaz à effet de serre qui participe au changement climatique (sur ces deux points précis liés à l'élevage breton voir : Ca sert à quoi un joli paysage? sur la pollution des eaux et les algues vertes et Agriculture productiviste et changement climatique). Le développement d'unités de méthanisation pour retraiter ce lisier est aussi problématique car il faut par ailleurs produire de la matière sèche c'est-à-dire des végétaux, expressément pour la mélanger au lisier sans quoi le méthaniseur ne peut fonctionner. L'idée d'utiliser les algues vertes séchées comme matière sèche de ces méthaniseurs n'est pas envisageable non plus à cause de la forte teneur en sel de ces algues marines (pour plus d'info sur la méthanisation voir Une usine à bouse).
Un modèle d'élevage en crise?
Bref l'élevage porcin industriel breton est une catastrophe pour les porcs eux-mêmes, pour l'environnement et pour les consommateurs. En effet, les mauvaises conditions d'élevage, le nourrissage au soja OGM d'importation, la grande concentration des bêtes qui nécessitent de nombreux traitements médicamenteux et antibiotiques, donnent une viande de mauvaise qualité. Il faut d'ailleurs s'interroger sur le label tronqué VPF, viande de porc français, qui n'est pas un label de qualité puisque les conditions dans ces grands élevages bretons sont aussi mauvaises à tous les égards que celles des autres pays européens. VPF ce n'est donc qu'un porc qui fait cocorico, ce qui n'est jamais bon signe, mais sans raison de fierté particulière.
La crise de l'élevage porcin breton pourrait donc être ce problème d'un élevage qui méprise les animaux, l'environnemment et les consommateurs, c'est-à-dire une crise de modèle agricole. Et bien non tout ça pour la FNSEA ce n'est pas le problème de l'élevage porcin...
Crise des revenus, crise de productivité?
La crise de l'élevage pour la FNSEA, c'est que ces agriculteurs ne sont pas assez payés pour faire ce mauvais élevage. Pourtant le revenu des éleveurs porcins est comparable à celui des autres filières d'élevage alors d'où vient le problème? Du fait que ce revenu baisse depuis 2012 et qu'il y a plusieurs raisons à cela. D'abord le prix du porc baisse car en temps de crise c'est une viande bon marché sur laquelle les distributeurs serrent les prix pour attirer la clientèle. Conséquence : toute la chaine joue la baisse et tout l'été a raisonné de négociations sur le prix du kg de porc qui allait passer en dessous de 1.40€ le kg pour le prix au départ de l'élevage. Ce qui permet aux acheteurs de négocier à la baisse, c'est la concurrence d'autres pays européens : Espagne, Pays-Bas, Danemark et Allemagne.
Toutefois si l'on regarde les revendications de la FNSEA cette ouverture des marchés n'est pas le premier problème, ni même l'UE qui aide très fortement la filière porcine (aide directe PAC, aide au stockage, promotion et restitution). En effet la filière porcine française actuelle ne pourrait vivre sans l'ouverture des marchés. La France est même largement plus exportatrice qu'importatrice en porc. L'élevage français produit pour l'export que ce soit vers les autres pays européens ou le reste du monde. Pour ces dernières exportations hors UE les éleveurs touchaient même jusqu'en 2012 ce que l'on appelle des restitutions : l'UE subventionne les agriculteurs pour vendre à l'extérieur à des prix plus bas que le marché local qui se retrouve écrasé. La fin de ces aides à l'export (qui étaient injustes pour les marchés locaux) a recentré les éleveurs sur le marché européen et renforcé la concurrence.
Les éleveurs porcins européens sont donc en train de se manger entre eux et les éleveurs bretons doivent supporter la concurrence étrangère. Rappelons quand même que ce jeu de la concurrence qui leur déplaît aujourd'hui est celui qui leur a permis d'écraser les autres régions françaises. Il y a 70 ans la première région porcine était l'Auvergne qui pratiquait un élevage traditionnel et qui s'est faite écraser par le porc industriel breton développé au cours des années soixante et soixante-dix par les éleveurs, la FNSEA et l'Etat : on favorise les grands élevages industriels, on développe le port de Lorient pour l'arrivée des aliments, on remplit des hangars de porcs et les porcs d'aliments, on rejette lisiers et eaux polluées et on renvoie les carcasses par le port de Lorient dans le monde entier. C'est ça la success story de l'élevage breton : du port hors-sol et quasiment off-shore.
La crise actuelle n'est que l'épisode suivant d'une course à l'industrialisation qui détruit l'élevage et les éleveurs, mais cette fois ci les Bretons semblent du mauvais côté de la concurrence. Pourtant, les prix à la production ne sont pas défavorables à l'élevage porcin français : ils sont les mêmes que le Danemark, nettement inférieurs à ceux de l'Allemagne ou de l'Espagne. Seuls les Pays-Bas et la Belgique ont des prix moins chers (Données Franceagrimer Aôut 2015). Ce n'est donc pas la productivité de ces entreprises qui pose problème puisqu'en terme de prix, la concurrence semble supportable.
La crise d'un modèle économique et agricole.
Le problème principal vient de la fragilité de ce modèle industriel en terme économique. C'est un modèle économique dans lequel l'éleveur est dépendant et pris entre un amont et un aval qu'il ne maîtrise pas. En amont, les prix des céréales et protéagineux sont très fluctuants, or les porcs ne sont nourris que de ça. Parmi les autres intrants, il y a aussi les traitements vétérinaires dus à la trop grande concentration des animaux. En aval, le prix d'achat qui dépend des intermédiaires, des abattoirs, des distributeurs, des consommateurs...
D'autres facteurs pourraient intervenir dans le prix de revient mais sont aujourd'hui à la charge de la communauté : l'eau qui est presque cédée gratuitement, son épuration, la gestion correcte des lisiers, la dépollution des eaux bretonnes, le coût des marées vertes... Tous ces facteurs sont à la charge du contribuable et non de ces élevages polluants au grand mépris du principe pollueur payeur qui n'existe pas en agriculture. Les éleveurs craignent par dessus tout que justement on commence à leur demander de participer à ces frais que ce soit financièrement ou en rendant leur élevage propre. C'est cela les nouvelles normes que les éleveurs refusaient dans les manifestations et dont la FNSEA a obtenu le moratoire jusqu'à la fin de 2015.
Contre ces facteurs externes, les éleveurs tentent de minimiser leur coûts de production soit en augmentant la taille des élevages pour des économies d'échelle, soit en modernisant l'outillage pour payer moins de salariés. Deux axes, ceux de la FNSEA depuis toujours : augmentation des tailles d'élevage et modernisation, c'est-à-dire industrialisation. Toutefois c'est ce modèle de développement qui rend ces élevages fragiles. En effet pour moderniser et s'agrandir, il faut emprunter et s'endetter. Or c'est là le principal problème des éleveurs bretons. Le taux d’endettement des éleveurs bretons est de 76 % en moyenne et pour un tiers il est supérieur à 100 %. Il est donc là ce tiers des exploitations dont la faillite est annoncée et qui n'est due qu'à cette course au gigantisme et à une "modernité" passéiste, c'est-à-dire le plan de développement de la FNSEA pour l'agriculture française.
Un élevage porcin qui part en eau de boudin
L'élevage porcin industriel breton connait donc une grave crise mais qui n'est pas celle mise en avant par les éleveurs bretons et la FNSEA. Pour eux la crise, c'est le manque de revenu, la concurrence étrangère et les contraintes environnementales. Les remèdes exigés du gouvernement par la FNSEA sont une garantie de prix intenable, un moratoire sur les normes environnementales et sanitaires et sur les dettes. Autrement dit ces mesures et le plan de 3 milliards n'ont qu'un but : atténuer quelques symptômes sans soigner le problème.
En effet, ni les éleveurs, ni la FNSEA, ni la politique agricole de la France ne veulent régler le problème car le problème est leur modèle de développement même : l'élevage industriel. Cette crise bretonne actuelle n'est qu'un épisode d'un problème de fond : l'élevage industriel lui-même et la course aux prix les plus bas. Cette course à toujours plus grand et toujours moins cher a permis à l'élevage breton d'écraser les autres régions françaises et à l'élevage européen d'écraser celui de nombreux pays du sud. La fin des restitutions met maintenant face à face les élevages européens. Alors ils refont ce qu'ils ont toujours fait pour réagir : grossir et se moderniser pour produire toujours plus, toujours plus mal au détriment des consommateurs et de l'environnement comme le montre la destruction des paysages bretons.
Cette crise rappelle la crise de la viticulture dans les années 1970 dans le Languedoc-Roussillon : une surproduction de mauvais vin, des viticulteurs qui faisaient pisser la vigne et une destruction de l'environnement . Cette production a disparu et une belle viticulture s'est reconstruite à la place visant la qualité et faisant de ce vignoble un des plus beaux de France.
Si l'on suit ce modèle, il faut en finir avec l'élevage industriel porcin breton qui détruit l'environnement, produit mal et ruine ses éleveurs même. Le plan de 3 milliards utilisé à bon escient aurait permis d'amorcer un début de transformation comme le montre l'article de Terraeco et de la Confédération paysanne. Au lieu de ça, FNSEA et gouvernement, ont remis 3 milliards dans la machine pour que les éleveurs continuent à s'endetter et produire n'importe quoi, n'importe comment au mépris des animaux, des consommateurs et de l'environnement. La crise de l'été n'était donc qu'un coup de klaxon avant de réaccélérer tout droit dans le mur.
Vaches à viande, vaches à lait, quel élevage bovin?
La production industrielle bovine, un "élevage" inacceptable.
Cette dernière et nouvelle forme d'élevage, si c'est de l'élevage, touche en effet aussi bien la production laitière avec la célèbre ferme des 1000 vaches (photo 1) que la production de viande avec la moins célèbre ferme des 1000 veaux creusoise. Ces deux projets d'élevage présentent tous deux les défauts de l'élevage industriel. Le traitement des animaux est inacceptable puisqu'ils sont enfermés à vie sur des caillebotis sans paille ce qui entraine infections des sabots, des mamelles et boiteries. Cette concentration des animaux entraîne une surutilisation des antibiotiques d'où le développement d'antibiorésistance chez des bactéries que l'on retrouve à la surface des viandes issues de ces élevages. Les atteintes à l'environnement sont nombreuses : l'alimentation des bêtes génère des cultures polluantes et des transports nombreux et la mauvaise gestion des excréments (que la méthanisation ne règle pas sur de gros élevages) cause des pollutions des eaux, des sols et de l'air. En terme de qualité alimentaire, les productions sont insuffisantes. En effet, la viande c'est du muscle et l'animal en stabulation ne produit que peu de muscles, il engraisse surtout. Ensuite le goût des viandes est lié à l'alimentation du bétail. En élevage industriel, les animaux mangent exclusivement du soja et de l'ensilage de maïs, deux aliments qui ne permettent pas à la viande d'être maturée longtemps pour acquérir goût et tendreté comme on le fait avec la viande d'animaux élevés en pré. Quant au lait issu de l'élevage industriel et de son alimentation soja/ensilage de maïs, l'INRA a montré récemment que sa composition était différente du lait de vache au paturage. En paticulier, il contient plus d'acides gras favorisant obésité et maladies cardio-vasculaires et moins d'acides gras protégeant contre celles-ci.
La mise à mort de l'élevage bovin traditionnel.
Le deuxième problème majeur de cet élevage industriel est qu'il met en péril les autres éleveurs traditionnels par une course aux prix bas. Le lait industriel revient à 25cts/l, vendu 27 à la laiterie quand le lait traditionnel dépasse les 30cts/l à la production. Cette concurrence détruit les élevages traditionnels puisqu'eux s'occupent des bêtes, ont des terres et des employés ce qui a un coût. Cette concurrence déloyale a été permise par une absence d'étiquetage. Pour les oeufs, chacun peut choisir avec le premier numéro du code ce qu'il consomme (0=bio, 1=plein air, 2=en batiment au sol et 3= en cage, pour une info rapide et clair sur ce codage). Rien d'équivalent pour le lait : le seul code est celui de la laiterie où les laits sont mélangés sans distinction fermier/industriel. Le seul critère restant le AB biologique car il n'y a pas d'élevage industriel en agriculture biologique.
L'élevage fermier laitier est celui qui souffre le plus de cette concurrence et comporte le plus d'élevages en difficulté et au bord de la cessation d'activité. Cette concurrence est permise depuis avril 2015 (et il a fallu trois mois pour qu'elle les mette à genoux) à cause de la fin des quotas laitiers. Les quotas laitiers dataient de 1984 et autorisaient chaque éleveur à produire une certaine quantité de lait, ce qui protégeait les éleveurs en évitant la surproduction et l'effondrement des prix. Depuis avril 2015, ils ont été remplacés par la contractualisation : un éleveur peut produire le lait qui lui a déjà été acheté par contrat par une laiterie. Précisons d'ailleurs que ces contrats ne fixent pas un prix d'achat ce qui est inédit dans le monde des contrats : l'éleveur s'engage à vendre une quantité de lait qui lui sera acheté par la laiterie au prix du marché. L'éleveur est donc totalement dépendant. De plus, cette contractualisation voulue depuis longtemps par la FNSEA avant même la fin des quotas, s'accompagne de contrats d'intrants. Quand le paysan signe son contrat d'achat de lait avec une grosse laiterie, il est forcé plus ou moins explicitement de prendre un contrat d'aliments pour son bétail auprès d'un industriel. On enferme donc l'éleveur dans une double dépendance entre les fluctuations du prix du lait et du prix des intrants. Ce système de la contractualisation privilégie les grosses exploitations industrielles en soumettant les petits éleveurs à la dépendance des intrants alors qu'ils pourraient élever majoritairement à l'herbe ce que ne peuvent faire les élevages industriels. De plus les laiteries passent d'abord contrat avec les élevages industriels moins chers puis ensuite si besoin avec les petits éleveurs.
Dans l'élevage pour la viande, on retrouve la même prime aux élevages industriels même si le système est différent. Ainsi la ferme des 1000 veaux dont la SVA Jean Rozé-Intermarché est partie prenante, ce sont autant de veaux qui ne seront pas achetés à des petits éleveurs. De plus, la SVA Jean Rozé est à la fois le principal acheteur au marché au cadran d'Ussel qui fixe le prix du veau au niveau national, mais aussi le principal vendeur à travers la ferme des 1000 veaux. Cette situation lui permet de faire les prix du veau à la baisse au détriment des éleveurs traditionnels.
Un élevage traditionnel indispensable et vertueux.
Contrairement aux critiques que l'on fait en général à l'élevage bovin, l'élevage traditionnel est plutôt vertueux et s'oppose encore en tout point à la catastrophe qu'est l'élevage industriel. L'élevage traditionnel en France ce sont des fermes familiale de 50 vaches en moyenne qui élèvent les vaches au pré et à l'herbe presque toute l'année à part une période d'étable l'hiver quand la nourriture manque dehors.
Cet élevage a des externalités très positives. En terme d'emploi, on est à 2 emplois pour 50 vaches quand l'élevage industriel fournit moins d'1 emploi pour le même nombre de bêtes. En terme d'environnement, des vaches au pré sont neutres en terme de gaz à effet de serre émis puisque la prairie capte la même quantité de GES que celle émise par la bêtes. Si le pré est entouré de haies bocagères taillées et broyées comme dans tous les bocages français (photo 4), ce type d'élevage devient même capteur de GES (voir Travailler le sol pour sauver la Terre). On est donc loin du drame que constitue l'élevage industriel en terme de climat. Ce type d'élevage est aussi important en terme de paysage puisqu'il le maintien ouvert et agréable comme le montre l'exemple des Alpes où sans élevage traditionnel il n'y aurait plus d'alpages mais des forêts et donc plus de piste de skis l'hiver (voir Un exemple d'économie du paysage dans Paysans et Paysagistes). L'élevage industriel n'a aucun rôle d'entretien du paysage mais simplement des conséquences paysagères négatives. Au niveau des animaux, cet élevage est aussi positif puisque les bêtes à l'extérieur suivent un mode de vie normal et ne souffrent pas des maladies dues à la concentration, d'où un faible usage des médcaments et antibiotiques. De même l'alimentation à l'herbe est bonne et il faut simplement veiller à l'alimentation hivernale qui doit absolument délaisser ensilage et maïs pour du foin.
Un élevage traditionnel à sauver envers et contre la FNSEA.
Alors comment faire pour sauver cet élevage traditionnel de la concurrence de l'élevage industriel? La première possibilité serait d'interdire ce dernier au nom de tous les dangers et nuisances qu'il présente. La deuxième solution serait aussi de supprimer tous les avantages que la réglementation a donné à cet élevage industriel : contractualisation laitière, main mise sur les prix, alliance laiterie/producteur d'aliment, droit à polluer des ces grands élevages et prise en charge par la communauté de leur pollution (voir Ca sert à quoi un joli paysage?)... Seulement ces solutions sont peu envisageables tant que la FNSEA qui pousse et promeut l'élevage industriel contre ses propres militants, sera le véritable ministre de l'agriculture en France et ce, depuis les années 1950.
On peut par contre essayer de rendre cet élevage traditionnel plus rentable. La première solution consiste encore et toujours à développer la qualité de production pour augmenter et surtout stabiliser les prix. Ainsi, on l'a vu, pas de label distinguant lait industriel et fermier que les laiteries mélangent, seul le label AB garantit donc un lait issu d'un élevage fermier. Or la conversion pour ces élevages est peu compliquée car les conditions d'élevage sont déjà bonnes. Pour la plupart, il faut juste changer deux pratiques : épandre le fumier sur les prairies et non des engrais pour ceux qui fertilisent leurs prés et changer l'alimentation hivernale pour du bio, ce qui est le plus couteux mais reste acceptable.
Il faut aussi raccourcir les circuits de vente ou conserver la valeur ajoutée lors des tranformations. C'est par exemple le cas dans les zones de montagne avec des coopératives de transformation, voire une transformation à la ferme même en fromages AOP ou en beurre de qualité. Tous les grands fromages français de montagne ont ce modèle économique qui fonctionne bien tant que la coopérative reste sous contrôle des paysans et est dans une démarche de qualité. Bref, pour gagner sa vie, il faut éviter de se retrouver à vendre son lait non transformé sous contrat à Lactalis, Danone, Bongrain, Sodiaal, Bel ou Laïta. Et pour aider ces éleveurs, il faut éviter d'acheter les productions de ces industriels du lait qui vendent sous de nombreuses marques.
En élevage bovin viande, la situation est relativement meilleure pour l'instant quand au prix de la viande car les élevages se sont spécialisés sur des productions qualitatives par choix de races. Toutefois cette sélection de races a deux critères qui posent problème. Les races sélectionnées sont des races de travail capables de faire rapidement du muscle et d'avoir beaucoup de viande maigre à squelette égal. Ainsi Charolaise, Limousine, Blonde D’Aquitaine, Gasconne, Bazadaise sont à la base des races de travail et non des races à viande. Les races à viande n'existaient pas avant le XXe siècle car une vache servait au lait puis à la viande, or ces races allaitant leur petit privaient le paysan d'une part importante du lait. De plus ces vaches ont été sélectionnées sur ce que l'on appelle le gène culard (photo 3). Le but : sélectionner des vaches qui ont un arrière le plus gros possible car les morceaux arrière sont les plus chers (à griller ou à rôtir) alors que l'avant a des morceaux à bouillir et braiser. Conséquence : cette sélection pose des problèmes d'élevage car le renforcement de l'arrière gêne le velage et ainsi le velage naturel sans césarienne est devenu exceptionnel en race charolaise, ce qui nécessite du personnel et des soins vétérinaires.
Vers un élevage mixte d'excellence.
Face à la spécialisation et à l'industrialisation prônées par la FNSEA et qui ruinent les éleveurs entre autres problèmes, on pourrait repenser un modèle d'élevage intégré et écologique, mixte et d'excellence, compatible avec une société dans laquelle la consommationde viande est en baisse.
Le modèle économique est celui d'élevage de petite taille et de type familiale comme actuellement. Chaque ferme élève une cinquantaine de bêtes mais au lieu de se spécialiser en lait ou en viande, elle choisit des races mixtes, c'est-à-dire des vaches qui présentent à la fois une grande aptitude à la production de lait et de viande. Parmi celles-ci, on trouve de nombreuses races adaptées à leur région (comme l'indiquent leurs noms) d'où une grande facilité d'élevage : armoricaine, aubrac, bleue du Nord, ferrandaise (photo 5), montbéliarde, nantaise, normande, salers, simmental française, tarentaise (ou tarine), vosgienne et abondance. Ces vaches mixtes et rustiques ont été abandonnées avec la spécialisation au profit soit des races de travail pour faire rapidement de la viande maigre, soit des races pisseuses de lait comme la si célèbre prim'holstein (photo 2) dont le lait n'a pour lui que sa quantité (10000litres/an/vache) mais une qualité très faible en terme de protéine et d'acides gras.
Dans un premier temps, ces vaches produisent du lait durant quelques années, vêlent pour assurer un troupeau et une vente de veaux. Leur rusticité permet un élevage au pré à l'herbe avec une très courte mise à l'étable l'hiver si besoin pour les régions à neige seulement. Dans de nombreuses régions, le batiment d'élevage est même superflu avec de telles races, il suffit d'un local pour les velages ou les nouveaux nés. Leur rusticité permet aussi que les vélages soient faciles voire même sans surveillance au pré pour certaines races comme la salers. Le lait est transformé soit par la ferme elle-même pour des productions AOP, bio ou vendues en circuit-court. Le lait peut aussi être transformé ou simplement commercialisé localement par des petites coopératives contrôlées par les éleveurs. Ainsi les éleveurs n'ont presque pas d'intrants à payer et ont deux productions pendant ces premières années : veau et lait ou produits laitiers dans des filières courtes et donc rémunératrices.
Après quelques années, on arrête de féconder les vaches qui ne font donc plus de lait, ni de veau et pendant un an, elles engraissent naturellement avant d'être abattues. Ces vaches ne sont pas alors des vaches de réforme à la viande épuisée par la lactation puisqu'il y a eu réengraissage. Leur viande est alors persillée et pleine de goût et leur élevage à l'herbe permet de faire mûrir longtemps cette viande pour qu'elle soit très tendre. Ces vaches mixtes réengraissées fournissent de l'avis des connaisseurs les meilleures viandes qui pourraient donc partir dans des filières rémunératrices.
Un tel élevage mixte d'excellence est totalement écologique, facilement biologique, local, produit de la qualité et s'avère très positif pour l'éleveur. Il a un revenu multiple (veau, produits laitiers, viande) et donc stable. Il a un revenu plus élevé en raison de produits de qualité, de filières courtes et qu'il contrôle avec les autres éleveurs. Il a très peu d'intrants grâce à l'alimentation à l'herbe et peu de dépenses (vétérinaires et bâtiments). Enfin et c'est certainement l'essentiel pour lui, il est sorti de cette double dépendance amont/aval et peut faire son métier pleinement : élever des animaux pour nourrir des gens.
Ce modèle proposé n'invente rien de nouveau mais essaie simplement de reprendre en un seul modèle des éléments disparates ou qui ont existé mais que 70 ans de FNSEA à la tête de l'agriculture française ont voulu faire disparaître au profit d'un modèle industriel délétaire.
Les pompiers pyromanes
Le plan de sauvetage de l'élevage a plusieurs axes voulus par la FNSEA et acceptés par le gouvernement. Le premier est la modernisation des élevages et des abattoirs. L'état s'engage à pousser l'automatisation des abattoirs et aident les élevages à se moderniser. Pour cela, l'état, c'est-à-dire nous, prend en charge les intérêts d'emprunts et les cotisations sociales des éleveurs qui peuvent repousser leur remboursement à 2016. En même temps, une enveloppe de 3 milliards est donnée à la filière pour les aider à emprunter pour moderniser leur batiment. Cette stratégie est totalement aberrante : on prend acte que les emprunts d'investissements sont insupportables pour les éleveurs puisqu'on les aide mais en même temps on les incite à de nouveaux emprunts. Bref la technique du tortionnaire : reprend donc une goulée d'air avant que je te renfonce la tête sous l'eau une dernière fois.
Le deuxième axe est un moratoire sur les normes qu'elles soient environnementales ou autres. Autrement dit plus de nouvelles normes et un assouplissement des existantes. Parmi ces normes haïes par La FNSEA, il y a toutes celles relatives aux nitrates car toutes les mesures contre la pollution aux nitrates sont des contraintes pour l'élevage industriel, pas pour les ptits élevages. L'autre règlementation que craint la FNSEA est l'obligation d'enquête publique pour les élevages importants : elle consiste à ce que la création d'un élevage soit soumise à enquête par les pouvoirs publics avant autorisation pour voir l'impact de cette nouvelle implantation. La FNSEA a déjà réussi à assouplir cette obligation pour les porcs et les volailles mais voudrait aussi le faire pour les bovins. En effet, depuis 2013, grâce au gouvernement "défenseur de l'agroécologie" (et de l'hypocrisie agricole), on peut créer sans autorisation mais sur simple enregistrement un élevage allant jusqu'à 2000 porcs ou 40 000 volailles alors qu'on ne peut concentrer que 450 bovins sans avoir demander une autorisation.
Il y a toutefois un axe que ce plan de la Fnsea n'a pas et que de nombreux paysans regrettent (voir L'article de Reporterre : Et Xavier Beulin, fut hué par les agriculteurs désespérés) : pas de revendication pour que les agriculteurs soient payés à un prix juste. Pourquoi une telle absence? Car la Fnsea ne veut pas que les éleveurs vivent de leur travail et surtout pas les petits. Le plan de la FNSEA pour l'élevage français, c'est la disparition des petits éleveurs pour faire apparaître des grands élevages industriels produisant à bas prix et en grande partie pour l'export. C'est cette orientation qu'elle suit depuis longtemps et que montre encore le plan de sauvetage. Les aides à l'investissement sont fonction de la taille des projets quand elles n'excluent pas directement les petits élevages. Le moratoire sur la norme nitrate et la fin des obligations d'enquêtes publiques servent aussi la création de grands élevages industriels. De même les baisses de charges ne concernent pas les petits élevages familiaux sans salariés mais uniquement les grands. Pour les petits, rien à part une aide au désendettement pour qu'ils puissent mourrir dans la dignité alors qu'assurer un prix correct aurait pu leur permettre de vivre dignement.
Dans cette crise et sa résolution, FNSEA et gouvernement apparaissent donc comme de véritables pompiers pyromanes : ils utilisent le désespoir des petits éleveurs qui souffrent de la concurrence de l'élevage industriel pour promouvoir encore davantage celui-ci et enterrer l'elévage français. Restent que ces éleveurs français devraient réfléchir et arrêter de suivre et de porter la FNSEA qui est le seul syndicat qui oeuvre à la disparition de ses membres (voir Champs de bataille 5 : la FNSEA, 70 ans de mauvais et déloyaux services).