Les antibiotiques c'est pas automatique?

Tout le monde connaît ce slogan qui nous incitait à ne pas surconsommer d'antibiotiques pour éviter qu'ils perdent leur efficacité. Tout le monde ? Non… Les animaux d'élevage intensif l'ignorent ainsi que la plus grande partie du monde agricole. Cette ignorance volontaire est d'ailleurs en train de nous faire perdre le plus grand progrès médical du XXe siècle.

Et si on se privait du plus grand progrès médical en santé humaine?

Les antibiotiques sont des molécules qui détruisent les bactéries ou microbes qui causent les maladies infectieuses. Leur découverte est récente puisque le premier antibiotique découvert par Flemming en 1928, la pénicilline, n'a été produit et utilisé pleinement qu'à partir de 1943 en santé humaine pour lutter contre les infections des blessures des soldats américains pendant la Seconde Guerre Mondiale. Depuis 70 ans, l'humanité se soigne facilement de toutes ces maladies infectieuses courantes qui nous auraient tués avant et que l'on guérit aujourd'hui avec 8 jours de traitement. Les antibiotiques ont fait ainsi gagner 10 ans d'espérance de vie aux sociétés qui en bénéficient soit plus qu'aucun autre traitement médical que ce soit avant ou après.

Alors pourquoi limiter l'usage de ce grand progrès médical comme nous y incite de nombreuses campagnes de prévention? Pour éviter l'antibiorésistance. Les bactéries sont des êtres vivants et au cours de  leur reproduction, d'une génération à l'autre, leurs caractéristiques évoluent et certaines bactéries développent des résistances aux antibiotiques. Si des populations de bactéries sont souvent en présence d'antibiotique, l'antibiotique va tuer d'abord les bactéries qui lui sont le plus sensibles pour ne laisser que les plus résistantes. Celles-ci vont alors proliférer. C'est pourquoi l'usage immodéré des antibiotiques, c'est-à-dire sans avoir précisément une maladie infectieuse à guérir, développe l'antibiorésistance, la résistance de bactéries aux antibiotiques. Des bactéries comme Escherichia coli  ou  staphylocoque doré sont devenues résistantes à presque tous les antibiotiques. Pour elles, on se retrouve comme il y a 70 ans : démunis et privés du seul progrès médical qui nous avait permis de nous en prémunir. Ainsi l'antibiorésistance est la cause de 25000 décès en Europe chaque année : on n'a pas pu soigner des gens car l'antibiotique n'était plus efficace. Cette antibiorésistance progresse vite en france : le taux de résistance aux pénicillines est passé de 0,5% en 1984 à 42% en 1999. Pour les enfants, il était de 60% en 2001. Cela veut dire qu'en 2001, 60% des traitements antibiotiques à base de pénicilline donnés à des enfants n'ont pas permis de guérir la maladie et qu'il a fallu prescrire un autre antibiotique (Source Ipsos, juin 2002).
Cette lutte contre le développement de l'antibiorésistance est à la base de ces campagnes contre la surutilisation d'antibiotiques en santé humaine. La France était en effet en 2001 le plus gros prescripteurs d'antibiotiques avec 100 millions de prescriptions annuelles. Depuis, des progrès ont été accomplis et chacun sait qu'il n'y a pas besoin d'antibiotiques pour guérir les maladies virales par exemple.

Toutefois cela ne concerne que la santé humaine. Or la source principale de l'antibiorésistance est l'élevage intensif.

Après la confiture aux cochons, pourquoi pas des antibiotiques?

Nous n'avons parlé pour l'instant que de santé humaine ce qui n'est pas le sujet principal de ce site mais les antibiotiques sont aussi et avant tout un sujet agricole si l'on en croit les chiffres.

Antibiotiques et agriculture.
En France, l'élevage représente 63 % des antibiotiques délivrés (68 % en Allemagne). La France autorise même l'administration aux animaux des antibiotiques de dernière génération qui ne sont utilisés qu'en dernier recours en santé humaine puisque ce sont les seuls encore efficaces contre certaines bactéries résistantes.
Tous les domaines agricoles utilisent les antibiotiques : l'élevage bien sûr, la pisciculture mais aussi en traitement contre certaines maladies bactériennes des plantes. De plus cet usage est le plus fréquemment un usage préventif et non curatif. Soigner un animal malade avec le traitement adapté est une bonne chose mais traiter tous les animaux d'un élevage selon un calendrier pour éviter qu'une maladie ne se déclare est inefficace, aberrant et une des causes principales du développement d'antibiorésistances. Les élevages intensifs sont donc devenus des nids d'incubation de nouvelles bactéries résistantes aux antibiotiques. C'est une autre forme d'élevage, me direz-vous...

Des superbactéries d'élevage dans nos assiettes.
Ces super bactéries se diffusent alors dans l'environnement, dans l'eau contaminée par les excréments bovins, transmettent leur antibiorésistance à d'autres et contaminent directement les humains soit par le contact direct, soit par l'alimentation comme le montre l'infographie du journal Le Monde (cliquez pour agrandir).
Cette présence est maintenant forte comme le montre l'enquête de UFC-Que choisir : sur 100 échantillons de poulet et de dinde vendus dans les grandes surfaces, les marchés, et les boucheries françaises, 61% étaient contaminés par des bactéries antibiorésistantes, c'est-à-dire que ces bactéries étaient présentes sur la viande. 1/4 des échantillons contaminés étaient même porteurs de bactéries résistantes aux antibiotiques de dernière génération utilisés seulement en dernier recours en santé humaine contre les pathologies graves et résistantes. La consommation de ces viandes cuites n'est pas un problème car la cuisson tue les bactéries mais le risque de contamination est présent lors de la manipulation avant cuisson. Il est donc devenu maintenant plus impératif de se laver les mains au savon après avoir touché de la viande qu'avant : on ne risque plus de contaminer la viande par des bactéries mais elle risque de nous contaminer par des bactéries antibiorésistantes.

L'élevage intensif responsable de l'antibiorésistance.
Reste une question : pourquoi un tel usage, un tel mésusage des antibiotiques dans l'élevage? Cela vient de l'élevage intensif comme le montre le fait que pour l'instant les problèmes se concentrent sur le lapin, la volaille et les porcs, tous ces animaux élevés dans de mauvaises conditions et en très forte concentration. Leur concentration concentre aussi les germes et les risques d'épidémie. Elle favorise aussi les blessures et donc les infections : quand une poule n'a pour espace de vie que la surface d'une feuille A4 comme c'est la norme autorisée dans les élevages en batterie, il arrive qu'elle se blesse sur le bord de sa cage. Conséquence de ces conditions  d'élevage : on traite périodiquement tout l'élevage aux antibiotiques de manière préventive, quand les antibiotiques ne sont pas directement ajoutés quotidiennement à l'alimentation. Ce sont d'ailleurs les viandes standarts ou premiers prix (classe A) c'est-à-dire issues d'élévage en batterie qui présentent le plus fort pourcentage de contamination.
L'apparition des fermes-usines type Mille Vaches ou Milles veaux va entrainer les mêmes problèmes dans la filière bovine où jusqu'alors le risque était moindre puisque les bêtes étaient relativement miieux élevées et surtout en extérieur.

Quelles solutions? Où la FNSEA va encore pas aimer...
Comment faire alors pour lutter contre ce problème qui a terme pourrait nous faire perdre le bénéfice des antibiotiques et avec les 10 ans d'espérance de vie qu'ils nous ont fait gagner? Plusieurs pistes peuvent exister. On pourrait déjà supprimer une aberration française : le fait que les vétérinaires soient à la fois prescripteurs et fournisseurs d'antibiotiques, la vente des antibiotiques étant un complément voire même beaucoup plus de leurs revenus. On pourrait aussi avoir un véritable plan de lutte mais l'actuel Plan Ecoantibio qui prévoyait une réduction des antibiotiques vétérinaires de 25% sur la période 2012-17 est un échec puisque comme d'habitude, il n'était pas contraignant pour les agriculteurs grâce au lobbying de la FNSEA qui défend ces grands élevages. Ensuite viennent les seules véritables solutions mais que la FNSEA jugeraient farfelues : mettre fin à ces élevages intensifs où de mauvais éleveurs pratiquent un mauvais élevage contraire au bien être animal et à la santé humaine (entre autres : qualité, environnement, autres éleveurs...) ou encore pratiquer un élevage biologique. En effet, l'élevage biologique accepte de manière très encadré les antibiotiques : tout traitement préventif et collectif est interdit, on ne peut traiter que pour guérir individuellement un animal malade. Bref comme on doit utiliser un médicament puisque mon médecin quand j'étais malade n'a jamais prescrit d'antibiotique à toute ma famille ou toute ma rue.

C'est donc encore une fois le mode d'élevage intensif, hors sol, et en grande concentration, bref les fermes-usines, qui pose problème : on élève mal les animaux, ce qui posent des problèmes sanitaires que l'on combat par un déversement d'antibiotiques qui entraine de l'antibiorésistance et qui engendre ensuite un problème de santé humaine.
On savait déjà que le modèle agricole soutenu par la FNSEA nous rendait malade, on comprend même temps qu'il va en plus nous empêcher de nous soigner.

Mars 2015

© Copyright SiteName. Tous droits réservés.