Ca sert à quoi l'écologie?
On sauvera pas la planète
Ce titre n'est pas l'abandon pessimiste d'un écologiste désemparé, c'est juste un début de réflexion sur ce qu'est véritablement l'écologie en tant qu'engagement (et non en tant que science), que l'on appelle écologie politique ou écologisme. L'écologie est souvent très mal comprise dans ses buts même.
En effet tout acte écologique est fait pour sauver la planète, pour préserver la Terre, etc... mais est-ce là le but de 'écologie? Et d'ailleurs qu'a à craindre notre planète. Deux dangers principaux. Le premier est soit son refroidissement interne qui en ferait une planèté morte, soit l'extinction du soleil qui aurait la même conséquence. Le deuxième est l'astéroïde géant qui viendrait la détruire comme dans un film de science fiction. Contre ces deux dangers, l'homme et l'écologie ne peuvent rien, et même un super héros serait dans l'embarras. Pourquoi? Car ce n'est pas le rôle de l'écologie de sauver la planète. L'homme ne peut rien pour elle. La seule chose qu'il pourrait serait de disparaître pour arrêter de la creuser, de la forer, de la couvrir de béton mais là encore il ne la met pas en danger, il ne fait que la chatouiller comme un vilain eczéma. L'écologie ne sauvera donc pas la planète, alors à quoi sert-elle?
L'écologie, ça sert à Sauver les ptits oiseaux?
Les petits oiseaux comme de nombreux animaux bénéficient tout d'abord d'un caractère esthétique ou émotionnel qui encourage leur protection. Cette écologie sensible voire sentimentale ou esthétique est souvent première : l'homme émerveillé doit préserver la beauté de la nature. Cette écologie première est toutefois inégale voire un peu injuste : rouge-gorge et chardonneret ont plus de chances d'être protégés qu'un moineau ou un coucou. Si l'on sort des oiseaux, cette écologie sauve le bébé phoque mais moins l'adulte, l'éléphant ou le lion mais pas le crocodile ou la hyène. Quant aux insectes, vers de terre et toutes les plantes sans fleur, ils n'existent même pas pour cette écologie.
L'écologie de sauvegarde repose sur la volonté de préserver une espèce en danger comme ce fut le cas à l'origine de la LPO. Cette grande association écologique a pour origine la volonté de sauver le macareux moine (photo 1), ce magnifique oiseau marin, ce "perroquet breton" qui a failli disparaître au tournant du XXe siècle. Très fréquent jusqu'alors, il est devenu l'objet d'une chasse de loisir aux Sept-Îles où des chasseurs venaient faire des massacres : on est ainsi passé de 20 000 individus fin XIXe à quelques centaines seulement en 1911. En 1912, la LPO est créée pour s'opposer à ces massacres, le préfet interdit toute chasse aux macareux moine et les Sept-îles deviennent la 2e réserve naturelle française. Cet exemple montre la mobilisation écologique pour la survie d'une espèce menacée.
Il montre aussi que l'engagement écologique peut être d'ordre moral : l'homme n'a pas le droit de faire disparaître une espèce animale, un élément naturel qui lui appartient pas pour son simple plaisir et intérêt. Cette écologie morale se retrouve aussi lors des marées noires successives qui ont frappé entre autres le littoral atlantique au cours des années 1970-1990 (Torrey Canyon, Amoco Cadiz, Erika...). La vision de tous ces oiseaux marins englués dans un pétrole noirâtre, la pétrification visqueuse de ces êtres aériens faits pour voler, a révolté de nombreuses personnes : l'homme n'a pas le droit de détruire pour son seul intérêt économique des êtres vivants. Cette écologie morale est plus globale que les précédentes et plus radicale : elle considère le vivant, la nature comme n'étant pas à disposition de l'humain qui peut en faire ce qu'il veut alors que c'était une idée fondamentale des sociétés occidentales chrétiennes dans lesquelles la nature était assujettie à l'homme depuis le 6e jour de la création.
Avec "Un printemps silencieux" de Rachel Carlson en 1962, l'écologie acquiert un autre but. Ce livre fondateur de la pensée écologiste dépeint un printemps qui serait silencieux car il n'y aurait plus d'oiseaux qui chanteraient le retour des beaux jours, et surtout plus de mésanges qui zinzinulent dans un rayon de soleil printanier (ce chant auquel je ne résiste pas). La biologiste utilise cette vision d'horreur pour dénoncer l'usage des pesticides chimiques et particulièrement du DDT qui menacent les oiseaux, les animaux et aussi les humains. Ce best-seller donnent un but nouveau à l'écologie : la préservation de l'environnement, c'est-à-dire la nature dans laquelle vit l'homme. Ainsi le but de l'écologie environnementale n'est plus de sauver les oiseaux mais de préserver l'environnement pour sauver l'homme. Le pas franchi est grand pour la pensée écologiste avec cette écologie environnementale : on ne protège pas la nature de l'homme et pour elle-même, mais en protégeant la nature on protège l'homme.
La protection des rapaces à partir de 1972 en France et dans de nombreux pays après la convention de Washington en 1973 montre encore un aspect plus global de l'écologie. En effet, si l'on s'est mis à protéger les rapaces, c'est parce qu'ils sont beaux, en voie de disparition, que leur disparition était causée par l'homme qui les chassait... Bref toutes les raisons précédentes de protéger la nature, mais toutes ces raisons existaient avant 1972 et les rapaces étaient alors détruits comme nuisibles car ils s'attaquaient aux poussins et aux oiseaux que les hommes élevaient, aux lapins et oiseaux que les hommes chassaient voire par simple superstition dans le cas des chouettes et hibous. Ce passage direct de nuisible à protégé vient d'une nouvelle vision de l'écologie. On ne veut plus sauvegarder un individu ou une espèce mais une niche écologique, une fonction dans un écosystème. En effet, en protégeant tous les rapaces, on protège leur fonction et leur place au sommet d'un écosystème. En bout de chaîne alimentaire dans son écosystème, les rapaces régulent les populations de rongeurs, reptiles, amphibiens, oiseaux... et assurent ainsi un équilibre entre cette petite faune et la flore qu'elle consomme. De plus, les rapaces subissent tous les déséquilibres ou les problèmes de leur écosystème : les pesticides se concentrent au fur et à mesure de la chaine alimentaire et les rapaces sont les premiers à subir leurs effets. Ainsi protéger les rapaces appellent une écologie globale que l'on pourrait dire appeler écologie écosystémique : pour que les rapaces vivent bien, il faut protéger et équilibrer tout l'écosystème qu'il coiffe. Cette écologie est beaucoup plus riche et exigeante que les autres car elle protègent tous les êtres vivants d'un écosystème et en suivant les leçons de l'écologie (en tant que science qui considère tous les êtres vivants d'un écosystème dans leurs interactions et leurs relations), elle donne à chaque être vivant une réelle importance qu'il soit beau ou non, rare ou non.
L'engagement écologique n'a pas pour seul but de sauver les petits oiseaux. Les motifs d'engagement écologiques sont multiples. Préserver la beauté de la nature, sauver une espèce en danger, respecter une nature qui n'est pas à disposition de l'homme, préserver l'environnement humain, protéger des écosystèmes.
Dans toutes ces visions, l'homme est souvent la menace qui pèse sur la nature, volontairement ou non, mais l'écologie ne viserait-elle pas aussi à sauver l'homme?
L'écologie est un humanisme
Du rapace à l'homme : une écologie écosystémique de l'espèce humaine.
La nécessité de sauver l'homme vient d'un fait qu'il a souvent oublié : il est un animal apparu dans des circonstances particulières au cours de l'évolution et est lié à des conditions particulières. Selon toutes les théories sur l'apparition de l'homme que rappelle Yves Coppens, il y a eu une évolution du climat de certaines zones africaines vers plus de sécheresse qui a fait disparaitre la forêt au profit de la savane ce qui a fait évoluer des grands singes vers le redressement et la bipédie. L'homme est apparu sur un changement d'écosystème. De cette origine il garde malgré lui une dépendance à la nature, à son environnement, c'est-à-dire plus exactement l'écosystème auquel il appartient même s'il le modifie (on parle alors d'agrosystème). En effet l'idée de nature est relativement fausse car, en la créant, l'homme s'est exclu de la nature lui-même. On ne parle pas de la nature qui entoure un renard mais de son écosystème et il en fait partie. L'homme aussi appartient à cet écosystème qu'il appelle nature car la nature c'est juste l'écosystème de l'homme vu de son point de vue. Comme tout être vivant, l'homme est lié à son écosystème pour son mode de vie, ses ressources énergétiques et alimentaires, ses liens divers aux autres espèces...
Or par ses actions l'homme dégrade son écosystème à tous les niveaux. Un écosystème se compose en effet de deux aspects : la biocénose (les êtres vivants) et le biotope (relief, climat, sols, géologie, cours d'eau...). Ces deux aspects de l'écosystème de l'homme sont dégradés par l'activité humaine. La biocénose est touchée par la perte de biodiversité que l'homme cause en détruisant de nombreux milieux naturels et en y implantant que quelques espèces en nombre restreint et partout les mêmes que ce soit pour les végétaux ou les animaux (agriculture et élevage). La biocénose est aussi atteinte en terme de quantité d'êtres vivants : la surpêche vide les océans et l'agriculture chimique stérilise les sols faisant disparaître une microfaune et une microflore qui, prises globalements représentent une quantité d'êtres vivants impensable, les seuls vers de terre étant la première biomasse animale de la planète. Cette pression humaine sur les autres êtres vivants de son écosystème est telle qu'on parle aujourd'hui d'une sixième extinction massive des espèces.
Du côté biotope, l'action humaine est aussi importante. Les pollutions sont nombreuses, diverses et affectent la vie humaine comme le montre la pollution aux nitrates par l'élevage porcin par exemple. L'homme transforme aussi le relief, les sols, les cours d'eau se mettant parfois en péril lui-même comme dans le cas des inondations. Plus globalement, l'homme est responsable du changement climatique dont nous avons déjà vu les conséquences sur l'homme et son agriculture. L'homme est donc devenu un facteur fondamental de transformation pour le pire, de destruction donc, de l'écosystème planétaire au point que l'on parle de la période actuelle comme de l'ère de l'anthropocène.
Le problème fondamental de cette destruction par l'homme de son écosystème est que l'on sait aujourd'hui très bien que la destruction d'un écosystème entraine inévitablement la disparition des espèces qui le constituent et en premier lieu celles qui se trouvent au centre de cet écosystème en bout de chaine alimentaire. En détruisant son écosystème, l'homme coupe la branche sur laquelle il est assis. L'écologie trouve donc là sa fonction essentielle, fondamentale : l'écologie a juste pour but de sauver l'homme en sauvant son écosystème. On retrouve cette même écologie écosystémique évoquée précédémment pour le cas des rapaces mais appliquée à une espèce : l'homme. L'écologie est donc un humanisme car elle a pour but de sauver l'homme non pas au détriment des autres espèces mais justement en préservant l'écosystème de l'homme, seul véritable moyen de prendre soin d'une espèce.
L'humanisme écologique.
Nombreux sont ceux qui pensent sauver l'humanité par le progrès et la technique, solutions automatiques à tout, selon l'idéologie du progrès en place depuis le XIXe siècle. Toutefois il est rare que la maladie soit le remède car c'est justement l'idée prométhéenne centrale de cette idéologie qui a perverti le lien entre l'homme et son écosystème. Dans le mythe grec, Prométhée et son frère Epiméthée font tous les animaux dont l'homme et les dotent de caractères divers. Au moment de faire l'homme, plus de griffes, plus de dents, et même presque plus de poils et Prométhée trouve sa créature humaine un peu faiblarde par rapport aux fauves faits par son frère. Il va donc voler le feu aux dieux et le donne à l'homme. Conclusion : la technique (le feu) doit permettre aux hommes de lutter contre une nature hostile et de la domestiquer. Toute l'idéologie du progrès repose sur cette séparation antagoniste homme-nature avec, pour seul lien entre les deux, la domination humaine sur la nature grâce à la technique. C'est ce que nous faisons depuis un siècle et demi avec la révolution industrielle et c'est pourquoi nous en sommes là. Alors continuer avec la même recette, la même religion ne semble pas la meilleure façon de corriger ce qu'elles ont elles-mêmes causé. Techniques et sciences sont bien sûr des outils fondamentaux pour assurer le devenir de l'homme mais il faut les mettre au service de la conception écologique d'un homme intégré dans un écosystème et non s'en servir contre une nature excluant l'homme.
L'écologie est donc un humanisme nouveau car elle a changé la vision de l'homme. Il n'y a pas l'homme opposé à la nature mais l'homme est intégré à un écosystème, l'homme est en interaction, en lien avec le biotope et les autres êtres vivants de l'écosystème. Assurer l'avenir de l'homme ne peut se faire qu'en prenant soin de son écosystème tout entier. En cela l'écologie est une étape aussi importante pour la pensée humaine que l'humanisme des XVe-XVIe siècles. Après un Moyen Age centré sur Dieu, l'humanisme de la Renaissance proposait de se recentrer sur l'homme pensé en tant qu'individu. L'humanisme écologique rompt avec les religions du progrès et de la croissance. Il conserve l'homme au centre mais un homme intégré à son écosystème, dans un lien permanent aux autres hommes et aux autres êtres vivants. Ce faisant, on pourrait dire que l'humanisme écologique fait gagner l'humanisme et l'homme en humanité, en empathie : la tâche de l'homme n'est plus de servir Dieu, n'est plus de servir l'homme uniquement mais de prendre soin de son écosystème, c'est-à-dire en fait des liens qui le relient à son biotope, aux autres êtres vivants et aux autres hommes.
Ainsi l'écologie devient le projet le plus ambitieux que l'homme ait jamais pensé mais aussi le plus évident : assurer son avenir en prenant soin du monde et des liens qui le relie à lui et aux autres êtres.