Des Inondations? Qui L'Eut Crue?
Des crues violentes et fréquentes
Début octobre 2015, de graves inondations dans le Var et les Alpes Maritimes ont fait une vingtaine de morts et tout détruit sur leur passage. Mais cette "catastrophe naturelle", si c'en est une, est loin d'être un fait isolé : 2 semaines avant c'était Lodève qui était sous les eaux suite à un de ces épisodes cévennoles qui reviennent maintenant chaque année. La seule année 2014 n'a été qu'une succession d'inondations : en novembre, c'était le Gard et le Roussillon, en juin-juillet les Pyrénées-Atlantiques, en février, la Bretagne, en janvier, Midi-Pyrénées, les Pyrénées-Atlantiques, les Alpes-Maritimes et le Var encore.
Le changement climatique est la cause de la plus grande fréquence et de la plus grande violence de ces pluies d'automne et de printemps. En effet, le réchauffement de l'atmosphère correspond à une augmentation de l'énergie qu'il contient. Or automne et printemps, dans les zones tempérées, sont des saisons au temps instable car les masses d'air chaudes ou froides s'affrontent au-dessus de nos têtes. L'atmosphère plus chargé en énergie entraîne des chocs de masses d'air plus violents et donc des phénomènes météorologiques plus intenses.
Cette cause principale est déjà d'origine humaine et en partie liée à l'agriculture mais il y aussi d'autres causes à ces crues et inondations qu'il faut chercher dans notre occupation des sols.
Une urbanisation irresponsable
Ces zones à risque sont cartographiées depuis longtemps mais les maires délivrent quand même des permis de construire pour ces zones à risque. Plusieurs raisons à ce comportement irresponsable : la pression des électeurs pour avoir un terrain, la recherche de taxe foncière qui facilite les permis pour les entreprises et surtout l'arrogance humaine qui pense qu'avec deux murs en bétons pour la canaliser l'eau arrêtera de nous embêter.
L'image montre la zone d'Antibes-Biot où la rivière la Brague a causé d'importantes et meurtrières inondations début octobre 2015. Les zones rouge et bleue sont les zones définies comme inondables dans le plan d'occupation des sols de la commune d'Antibes et bizarrement ce sont celles qui ont été inondées. La zone rouge est interdite à la construction en raison du risque d'inondation et bizarrement elle est construite : des campings mais aussi des maisons, des lotissements et des entreprises. La zone bleue est inondable mais constructible avec des conditions particulières : c'est là qu'on trouve de nombreuses entreprises dont le parc aquatique ravagé par la crue.
Cette urbanisation irresponsable ne touche pas que les zones très peuplées comme celle d'Antibes. En France, il y a plus de 5 millions de logements construits en zone à risque, que ce soit les inondations ou d'autres risques. La cause première de ces catastrophes est donc bien humaine : c'est l'irresponsabilité de ceux qui permettent de bâtir dans des zones interdites à la construction pour cause de risque.
Urbanisation intensive et imperméabilisation des sols
Même si les orages sont plus fréquents et plus intenses, ils n'expliquent pas la hauteur et la rapidité des crues qui ont beaucoup augmenté au cours des cinquantes dernières années. Autrement dit un même orage donne aujourd'hui plus vite des crues plus hautes.
Ce phénomène est du à l'urbanisation qui a entrainé une imperméabilisation des sols. Il est évident que l'eau pénètre mieux dans la terre que dans le goudron ou le béton où elle ne pénètre pas. Dans une zone rurale, la pluie tombe sur la terre et la végétation qui ne la relâche que progressivement dans les fossés, ruisseaux et cours d'eau ce qui évite les montées trop rapides des rivières et lisse le débit puisque une grande partie de l'eau de l'orage ne rejoint la rivière que longtemps après celui-ci. En zone urbanisée, la pluie glisse sur les toits, les terrasses, les rues pour se retrouver dans les égouts et les systèmes de collecte d'où ils rejoignent les rivières tout cela en quelques minutes. Les crues sont alors rapides et intenses, d'autant plus que la rivière reçoit la même chose au même moment de tous les espaces urbanisés qui la bordent.
Dans une zone comme celle où coule la rivière la Brague, l'urbanisation est maximale. Les zones urbanisées sont en orange et l'urbanisation y est dense.Les seules zones non bâties sur la carte sont les golfs dont l'herbe rase n'est pas une végétation qui absorbe beaucoup d'eau ou les versants abruptes des vallées. Ces zones de forêts ne peuvent pas grand chose : leur pente est forte (sinon elles seraient elles aussi construites) et elles sont surplombées en haut des collines de zones urbanisées qui accélèrent l'écoulement des eaux avant qu'elles arrivent sur la pente pour se jeter dans la rivière entrainant souvent au passage des coulées de boues.
Cette urbanisation qui imperméabilise les sols est par ailleurs très rapide en France. Ainsi tous les 7 ans, c'est une surface équivalente à un département français qui est urbanisée et bétonnée ou goudronnée. Ces nouveaux espaces imperméables sont le plus souvent des zones en périphérie urbaine comme les lotissements, les centres commerciaux, leurs parkings. Ils empêchent l'absorption des eaux de pluies qui se retrouvent dans les collecteurs de la ville et dans la rivière qui y coule qui déborde ensuite au moindre orage.
Ainsi si nos villes sont de plus en plus souvent inondées c'est la contrepartie du raz de marée qui déferle depuis 40 ans sur la France, celui d'une urbanisation galopante et non pensée qui étale ses kilomètres carré de parking à perte de vue.
Une agriculture sans interstice
Il n'y a pas que la ville qui relâche très rapidement la pluie reçue dans les rivières entraînant des crues subites et violentes. Les campagnes ont de plus en plus cette même tendance, non pas à cause de la bétonisation mais car nos campagnes ont perdu leurs interstices. L'agriculture productiviste développée depuis les années 1950 a supprimé les interstices, toutes ces zones non cultivées ou non productives : zones humides, haies, arbres... Ces milieux intersticiels amortissent les crues : ils reçoivent l'eau de pluie, l'absorbent puis la relâchent plus ou moins vite dans les rivières évitant les crues rapides.
Les meilleures éponges pour lisser les précipitations sont les tourbières, les marais ou les zones humides le long des rivières. Le décalage entre le moment où la zone humide reçoit la pluie et le moment où elle relâche l'eau peut être de plusieurs mois et le relargage est très progressif. Le problème est que la France a perdu les 2/3 de ces zones humides depuis 1900 : elles ont été drainées pour être cultivées et leur eau s'écoule maintenant par les drains plus rapidement vers les cours d'eau.
Les forêts et les prairies surtout bocagères avec leurs haies remplissent aussi efficacement ce rôle de retarder le relargage de l'eau de pluie dans les cours d'eau. En effet les arbres absorbent et stockent beaucoup d'eau : un chêne adulte pompe quotidiennement près de 200 litres d'eau et un hectare de hêtraie consomme de 2.000 à 5.000 tonnes d'eau par an soit une piscine olympique et demie. Or, si les forêts sont plus présentes en France aujourd'hui, leur composition en monocultures de résineux est moins intéressante comme amortisseur de crues tant en raison des essences plantées que de la plantation elle-même. Par ailleurs, l'arbre a disparu de nos campagnes en dehors des forêts. Il n'y a plus de haies, plus d'arbres dans les prés ou les champs suite à la mécanisation de l'agriculture et au remembrement qui a suivi, selon le principe : pour un gros tracteur, il faut un gros champ sans arbre, ni haie qui gênerait les manœuvres.
Un exemple historique a montré cette influence du couvert végétal sur le régime des fleuves : celui de l'Allier. L'Allier est un fleuve qui subit des variations rapides de débit car il est sensible à deux influences : les épisodes cévenols qui font gonfler les eaux dans ses gorges en Haute-Loire et les précipitations venant de l'ouest qui engorgent tous les affluents qui le rejoignent depuis la chaîne des Puys ou les Combrailles comme la Sioule. Il s'en suit des crues très violentes quand ces deux influences coïncident. Les plus grandes crues de l'Allier ont eu lieu au XIXe siècle en 1856, 1866 et 1876. Depuis les crues existent mais se sont affaiblies. Bien sûr le barrage de Naussac, seul barrage du fleuve, régule les crues mais il n'a été mis en fonction qu'en 1983 et ne peut expliquer la faiblesse des crues depuis le début du XXe s qu'avait remarquée Henri Onde dans ses travaux. Cette faiblesse des crues s'explique par le changement de couverture végétale du bassin versant de l'Allier et de ses affluents. En effet, contrairement à d'autres régions françaises, c'est au milieu du XIXe s. que la population a été la plus nombreuse sur les versants qui bordent l'Allier et que l'agriculture a été la plus importante. L'Allier à cette époque est bordée de cultures en terrasses et de vignes dans les gorges puis de vignes et de céréales en Limagne. Toutes ces cultures rases avec terre apparente causaient un rapide ruissellement des eaux vers le fleuve et ses affluents qui gonflaient en des crues jamais connues depuis. Depuis, la vigne s'est retirée fin XIXe avec la crise du phylloxera, une grande partie de la population a quitté ces lieux ou l'agriculture. Les vignes et les terrasses cultivées sont redevenues friches, prairies, haies ou forêts qui absorbent l'eau et la conservent un moment avant de la relâcher.
Ce lissage du fleuve par le retour de la végétation et le retrait des cultures expliquent la fin des grandes crues de l'Allier. Cela montre aussi a contrario le rôle d'un couvert végétal d'arbres et de zones humides capables d'absorber les crues comme le montre cettte image du Val d'Allier (Ph.Busser).
Le sol n'est plus une éponge
L'agriculture productiviste n'a pas transformé que la couverture végétale au cours des 70 dernières années. Elle a aussi transformé, voire détruit les sols. L'agriculture productiviste utilise le sol comme un simple substrat qui a pour seul rôle de tenir la plante. Elle reçoit sa nourriture par des engrais, est protégée des bactéries par des antibiotiques, des autres herbes par des herbicides, des insectes par des insecticides, des champignons par des fongicides et la terre à nue est tassée par les pluies.
Quel rapport avec les inondations? Le sol n'est plus capable d'absorber et de retenir les précipitations.
La terre à nue est tassée et la pluie ne la pénètre plus mais ruisselle en surface vers les fossés qui bordent le champ. L'autre facteur qui vient rendre la terre compacte sont les pesticides divers qui tuent la faune du sol et en premier lieu les vers de terre qui retournent et aèrent continuement le sol. Ainsi le sol est poreux et peut accueillir l'eau de pluie.
La terre travaillée par cette agriculture productiviste n'est plus non plus capable de retenir l'eau de pluie car elle ne contient plus d'humus, c'est-à-dire de matière organique. Si l'on place dans deux passoires du sable et du terreau et qu'on les arrose en pluie, on verra l'eau traverser immédiatement le sable alors qu'il faudra un certain temps avant de voir l'eau traverser le terreau, le temps que la matière organique qui le compose se soit gorgée d'eau. La passoire de sable, totalement minérale, c'est la terre de l'agriculture productiviste. Les insecticides ont tué la microfaune, les engrais et les fongicides ont détruit les champignons et les traitements anti maladies ont éradiqués les bactéries qui tous transformaient les débris végétaux en un humus nourrissier. Cet humus absorbait l'eau et la retenait. Une étude de Marcel Bouché, agronome, a montré qu'une terre riche en humus absorbait jusqu'à 300mm de pluie par heure quand un orage violent n'en délivre que 150mm par heure. Sans cet humus, les pluies filent immédiatement à travers le sol vers les drains et le fossé collecteur.
C'est là une des causes principales de nos inondations : ce modèle agricole qui détruit le sol et toutes les zones amortissant les précipitations.
Les crues et les inondations si fortes et si fréquentes ces dernières années ne sont donc en rien des catastrophes naturelles mais bien des catastrophes humaines. Toutes leurs causes sont humaines que ce soit le changement climatique, la construction des zones à risque, l'urbanisation galopante qui imperméabilise nos territoires et un modèle agricole qui détruit les armotisseurs de précipitations, que ce soient les sols humifères, les zones humides et les arbres. La solution de ces crues n'est donc pas dans d'énièmes digues en béton mais dans un changement de modèle de ville et de modèle agricole.
Octobre 2015