Un climat fou Allier

Un climat fou dans l'Allier?

Depuis quelques années beaucoup d'entre nous constatent au jour le jour que le climat devient "fou", c'est-à-dire qu'il change et comme on dit qu'il n'y a "plus de saison". N'importe qui dans ses loisirs mais plus encore les agriculteurs dans leur travail et dans la conduite des cultures se rendent compte de ces changements. Les échanges à l'amap avec les producteurs témoignent de cela  :  parler de la météo n'est plus une simple manière de converser légèrement et mécaniquement, c'est un vrai sujet d'étonnement, d'inquiétude, de réflexion pour adapter les pratiques.

Or on sait que ce changement global est réel, que l'homme en est responsable, que certaines de ses activités comme l'agriculture et l'élevage intensifs en sont des causes et que les agriculteurs en sont aussi les premières victimes au point de déstabiliser une partie du monde. C'est ce que montrait un précédent article : Agriculture et changement climatique. Tout cela est connu et des solutions existent au niveau individuel et collectif. Ainsi, un changement d'alimentation peut faire chuter très fortement ses émissions de gaz à effet de serre comme le montrait un autre article : Le changement climatique, le GIEC et le Panier. 

Mais au niveau local, il est comment le changement climatique au delà des impressions que nous avons chaque jour? Car un changement global, un réchauffement de la température globale, a des manifestations locales très nombreuses. C'est l'ambition de cet article : voir comment se manifeste dans l'Allier le changement climatique global. Quelles sont les manifestations locales de ce changement climatique global?

La méthode

Dès qu'on fait un peu de science la méthode est fondamentale et doit être précisée. Pour voir l'évolution du climat dans l'Allier, il faut déjà distinguer climat et météo. La météo c'est sur le temps court : celui de la journée voire de l'année alors que le climat c'est sur le temps long puisque pour établir le climat d'un lieu on travaille sur 30 ans. Les données climatiques sont en effet des moyennes sur trente ans. Quand on dit que le climat de tel endroit en mai c'est une température de 15°c et 50mm de précipitations, c'est qu'on a fait la moyenne des températures et des précipitations de mai sur les 30 dernières années.'

Pour voir les évolutions climatiques, donc sur 30 ans, il faudrait par exemple comparer les moyennes sur les années 1960-1990 avec celles des années 1990-2020. N'ayant accès à ces données et voulant voir les évolutions récentes particulièrement ressentie par les agriculteurs, j'ai choisi une méthode qui permet de voir la tendance d'évolution tout en travaillant sur des données assez longues pour avoir une fiabilité statistique car comparer le climat avec les données d'une année particulière n'a aucun sens. Pour voir l'évolution du climat dans l'Allier, la méthode choisie a été de comparer les données climatiques sur les trente dernières années avec les données météorologiques compilées des 10 dernières années. On va donc comparer  les moyennes des 30 dernières années avec celle des 10 dernières années pour voir la tendance d'évolution. Toutes les données météorologiques compilées viennent du site Historique-météo.net qui garde sur 10 ans les données météorologiques par ville. Le lieu choisi est bien sûr Montluçon et la période de données 2010-2019, l'année 2020 n'étant pas finie quand les données ont été collectées. 

Ces données ont ensuite été transformées en diagrammes climatiques ou ombrothermiques, l'outil classique de la climatologie et la hantise de tout collégien. Ceux-ci présentent pour chaque mois de l'année, les précipitations en colonnes et les températures en courbe. La particularité est que les graduations des axes des températures et des précipitations sont fixées : une graduation de précipitations est égale à deux graduations de températures. Pour faire simple, une graduation verticale correspond à 10mm de précipitations et à 5°c de température. Pourquoi ce rapport? Car il permet de faire apparaître les périodes de sécheresse quand la courbe des températures dépassent les précipitations. Sans ce rapport, les sécheresses ne sont pas visibles. Ces diagrammes ombrothermiques ont été mis au point, non par des climatologues mais par un botaniste, Henri Gaussen. Son objet n'était pas seulement le climat pour lui-même mais dans son rapport à la botanique. Quand la courbe des températures dépassent  celle des précipitations, il y a sécheresse : les végétaux souffrent d'un manque d'eau. Ce lien climat/végétation est très fort dans ce graphique : par exemple la très connue limite de culture de la vigne correspond au climat qui montre sur leur diagramme 1 mois minimum où les températures dépassent les précipitations. Ce lien climat botanique est d'ailleurs l'axe de recherche de Henri Gaussen qui a aussi  théorisé l'étagement de la végétation avec l'altitude et le versant (autre angoisse collégienne). Même si ce type de graphique présente quelques réserves pour les autres zones que tempérées (voir article), il est pour ce qui nous intéresse l'outil idéal : facile à comprendre et présentant ces sécheresses qui sont déterminantes pour l'agriculture et qui caractérisent l'évolution climatique sensible dans l'Allier. 

Donc voila dans quoi on s'embarque : comparer le climat de Montluçon sur les 30 dernières années avec les évolutions des années météorologiques 2010-2019 compilées dans des graphiques principalement ombrothermiques. Si vous êtes toujours intéressés et même si ça peut sembler un peu ennuyeux, en avant pour comprendre le changement climatique local de l'Allier.

Plus chaud, bien sûr

Au niveau global, le changement climatique est un réchauffement du climat mondial. L'Allier ne fait pas exception comme le montre l'évolution des températures ci-contre. En jaune, on trouve la température moyenne annuelle sur les 30 dernières années et en rouge celle des dix années considérées. Il y a une augmentation de température sur ces dix ans mais finalement assez faible et qui reste autour de la moyenne climatique. Cela se retrouve sur le deuxième graphique qui compare les températures moyennes mensuelles sur les trente dernières années et sur la période 2010-19. Les deux courbes sont quasiment superposées. Cette faiblesse du réchauffement local dans les chiffres va à l'encontre du ressenti des populations. Celui-ci est marqué par les phénomènes sensibles ou remarquables comme les canicules l'été ou les périodes d'hiver très doux qui sont plus nombreux au cours des dernières années. Toutefois ces épisodes se voient encore peu sur les graphiques qui prennent en compte des moyennes mensuelles ou annuelles qui lissent ces accidents. La hausse des températures moyennes n'est donc pas le phénomène le plus marquant du changement climatique dans l'Allier qui se manifeste avant tout par des épisodes de plus en plus nombreux de périodes anormalement chaudes en été ou en hiver.

Mais Surtout Plus Sec

Le changement climatique global se manifeste aussi par des changements en terme de précipitations. En effet, l'augmentation globale des températures bouleverse et accélère le cycle de l'eau et modifie le régime des précipitations avec des manifestations locales très différentes : augmentation des précipitations à un endroit, sécheresse ailleurs. Qu'en est-il dans l'Allier?

Des précipitations en forte baisse.

Le premier graphique est sans appel : si on excepte 2019 les précipitations annuelles sont très inférieures à la moyenne climatique qui est de 720mm annuels alors que sur 2010-2018, les précipitations annuelles ont été entre 500 et 400mm soit 30 à 45% de précipitations en moins chaque année. C'est énorme. Toutefois 2019 (comme 2020 même hors période d'étude) a été beaucoup plus pluvieuse avec presque 1200mm. (Ce chiffre est tellement différent que j'ai cru d'abord a une erreur statistique mais il est confirmé par les chiffres des communes environnantes qui montre un même décrochage et des valeurs proches). Il faut donc bien voir comment cela va évoluer et savoir si la norme va devenir ces années sèches ou s'il s'agit juste de plus d'instabilité avec des suites d'années très sèches alternant avec des suites d'années pluvieuses s'approchant ainsi de la moyenne climatique sur 30 ans. Il n'empêche que sur ces années 2010-2018 ce déficit hydrique de 30 à 45% chaque année est une modification profonde du climat local.

L'inversion du régime des pluies estivales.

Le second graphique est tout aussi intéressant. Il compare les moyennes des précipitations mensuelles sur 30 ans (climat en bleu clair) avec celles sur la période 2010-19 (bleu foncé). Deux différences entre ces deux courbes. Tout d'abord les précipitations 2010-19 sont inférieures d'une dizaine de mm pour les mois de janvier, mars, avril, mai, juillet, octobre, novembre et décembre. En juin ce sont 20mm de moins, souvent sous forme de sécheresse vers la fin du mois. Si l'on s'en tient là, on pourrait penser que le régime des pluies, c'est-à-dire la période à laquelle elles tombent, est inchangé : il y a moins d'eau (10mm mensuels en moins) mais elles tombent au même moment. Pour la végétation, l'agriculture, ce serait moins grave mais ce n'est pas le cas.

 Le régime des pluies a changé comme le montrent les deux zones en bleu pastel. Elles sont le décalage entre la courbe du nouveau régime des pluies en bleu foncé et la courbe virtuelle et non tracée d'un régime des pluies de forme inchangée mais 10mm plus bas. Ces zones bleues correspondent à des déficits très forts par rapport au régime des pluies "normal" ou précédent. Le mois de février est en moyenne plus sec de 20mm. Quant à août et septembre, ils accusent réciproquement 40 et 30 mm de moins que les normales. Donc non seulement il tombe moins de précipitations mais le régime des pluies a changé, elles ne tombent pas au même moment. 

Le climat de l'Allier se caractérisait par des pluies toute l'année avec un pic en mai, un creux relatif en juillet et un 2e pic en août, la période mai-septembre étant globalement la plus pluvieuse de l'année. Sur les dix dernières années, les précipitations ont chuté avec 30 à 45% de pluie en moins mais le régime des pluies a aussi changé. Il y a toujours un pic de pluviosité en mai (70mm) puis une longue chute des précipitations jusqu'en aout et septembre avec seulement 30 mm. La période mai-septembre devient donc un long déclin des précipitations avec juillet, août et septembre comme mois les plus secs de l'année quand ils étaient parmi les plus pluvieux. Le régime des pluies estivales s'est donc inversé sur les 10 dernières années par rapport au climat normal de l'Allier. Un tel changement peut même être vu comme un changement de climat.

Des sécheresses récurrentes

Cette modification du régime des précipitations doit être confrontée aux températures pour voir les périodes de sécheresse qui rappelons-le, se voient sur les diagrammes ombrothermiques quand la courbe rouge des températures passe au-dessus des précipitations en bleu. Quand ce phénomène se fait plusieurs mois de suite, on est véritablement face à une sécheresse grave.

Des sécheresses sont observables en avril et en juillet-août 2010,  en septembre 2012, en juillet-août 2013, en août et décembre 2015, en juin-juillet-août-septembre et décembre 2016, en juillet et octobre 2017,  en juillet-août-septembre 2018 et même en août 2019, année pourtant très pluvieuse. 

Sur ces dix ans, seules 2011 et 2014 n'ont pas connu de sécheresses. 

2016 et 2018 sont d'ailleurs des années très remarquables avec 4 et 3 mois de sécheresse consécutives, fait rare sur le territoire métropolitain et réservé aux villes méditerranéennes.

Ces sécheresses sont principalement estivales centrées sur août mais on note aussi un épisode de sécheresse en octobre 2017 et deux décembres de sécheresse en 2015 et 2016.

Bref la baisse des précipitations mais surtout la modification du régime des pluies ont entrainé l'apparition d'un climat nouveau marqué par des sécheresses récurrentes chaque année en été et qui apparaissent comme un des traits marquants de l'évolution du climat.

Un changement de climat?

Sécheresses récurrentes, baisse de la pluviométrie de 35 à 40%, changement du régime des pluies avec la saison la plus humide qui devient un été sec. Tous ces changements partiels font-ils du climat de l'Allier un nouveau climat?Le changement est évident si on compare le diagramme de gauche, le climat montluçonnais sur 30 ans, et celui de droite qui montre son évolution récente sur 2010-19. Le changement se voit aussi sur l'image 2 (cliquez pour faire apparaître) avec un diagramme qui superpose les 2.

Le climat classique montluçonnais.

Déterminer un climat est une question complexe car on passe de l'analyse des chiffres et diagrammes à une analyse globale, une interprétation du climat. Celle-ci consiste à étudier les constantes du climat pour l'associer à un type défini par la classification de Köppen-Geiger. Pour la France, on compte 6 climats principaux comme le montre le schéma 3 (cliquez pour faire apparaître). Montluçon est en limite sud de la zone de climat océanique dégradé. Ce climat océanique dégradé est une variante du climat océanique avec la progression dans les terres. Par rapport au climat océanique, il est plus chaud mais l'amplitude thermique reste relativement faible, inférieure à 15°c. Il est humide toute l'année et n'a pas de saison sèche. Ce qui correspond bien au climat classique de Montluçon du diagramme de gauche. 

Un nouveau climat sur 2010-19.

Essayons maintenant de classifier le diagramme de droite, c'est-à-dire le diagramme de Montluçon sur la période 2010-19. L'apparition d'une saison sèche en août et presque sèche en septembre interdit de le ranger dans les climats océaniques qu'ils soient classique, dégradé, voire même aquitain. Si l'on considère les autres climats français, le plus proche géographiquement, le climat montagnard ne colle pas non plus : il consiste en une variante plus froide et plus humide du climat local et n'a pas de saison sèche non plus. Le climat semi-continental pourrait géographiquement être un client puisqu'il est présent dans l'est de la France mais aussi dans les vallées de Rhône-Alpes et d'Auvergne en raison des reliefs qui coupent ces vallées de l'influence océanique, rôle que pourrait avoir le plateau limousin pour Montluçon. Toutefois en terme de caractéristiques climatiques, ça ne colle pas non plus : la période la plus humide est l'été en climat semi-continental alors que pour Montluçon c'est maintenant une saison plus sèche voire sèche. Montluçon n'a donc pas non plus un climat semi-continental. Il ne reste donc qu'un candidat  potentiel à examiner parmi les climats tempérés : le climat méditerranéen, aussi surprenant que cela puisse paraître. 

Des températures compatibles avec le climat méditerranéen.

En terme de température, Montluçon n'a que peu changé comme nous l'avons vu à part des épisodes caniculaires en été et des moments d'hiver doux. Ses caractéristiques thermiques ne sont toutefois pas très éloignées si l'on compare avec des villes de climat méditerranéen (image 4 à cliquer). Le régime des températures (c'est-à-dire l'évolution des températures sur l'année) est le même que dans le climat méditerranéen mais environ 5°c au-dessous. Pour Henri Gaussen, le climat est méditerranéen si les températures moyennes sont positives toute l'année, ce qui est le cas de Montluçon. Pour Köppen, le climat est méditerranéen si le mois le plus froid est entre -3 et 18°c, si 4 mois consécutifs ont plus de 10°c et si le mois plus chaud est à plus de 22°c de moyenne. Ces 3 conditions sont remplies par celui de Montluçon sur 2010-2019 qui présente en plus le même régime des températures que les villes méditerranéennes. Toutefois les températures ne sont pas une clef du climat méditerranéen aussi importante que les précipitations.

Des précipitations méditerranéennes caractéristiques.

Maintenant, si l'on regarde l'image 4 qui compare le régime des précipitations, on remarque les mêmes caractéristiques entre Montluçon et ces villes de climat méditerranéen (même si les courbes ne sont pas identiques) : hiver et printemps pluvieux avec un creux en février et un pic avril-mai, un creux marqué de juin à août qui continue en septembre à Montluçon, puis une fin d'automne pluvieuse après un pic en octobre. On peut aussi remarquer que les précipitations à Montluçon entre 2010 et 2019 sont inférieures aux données climatiques (sur 30 ans) des villes méditéranéennes condidérées. Plus simplement, il a moins plus à Montluçon sur 2010-2019 que dans le climat méditerranéen de Narbonne, Carcasonne ou Avignon, ce qui n'était pas a priori une évidence. Pour Köppen, le climat est méditerranéen s'il y a une sécheresse estivale, si les précipitations sont inférieures à 40 mm durant le mois le plus sec et si les précipitations durant le mois le plus sec en été sont inférieures au tiers du mois hivernal le plus arrosé. Or Montluçon sur 2010-19 présente une sécheresse en août avec seulement 32mm. Seul le 3e critère n'est pas rempli mais avant tout en raison de la faiblesse des précipitations toute l'année puisqu'aucun mois n'atteint les 96mm. Pour Henri Gaussen, la principale caractéristique du climat méditerranéen est la sécheresse estivale, quand la courbe des températures dépasse celles des précipitations. C'est même la clef de détermination des climats méditerranéens pour lui, qu'il appelle indice d'aridité et qui conditionne l'apparition d'une végétation méditerranéenne. Il classifie même les climats méditerranéens en fonction du nombre de mois de sécheresse allant de 8 mois pour le climat xérothermoméditerranéen le plus marqué, à 1 mois de sécheresse pour le climat subméditerrannéen le moins marqué. 

Ainsi, aussi inattendu que cela puisse être, Montluçon a eu sur la période 2010-19 un climat subméditerranéen avec 1 mois de sécheresse estival (presque 2) et des régimes des pluies et des températures correspondant à ceux de villes de climat méditerranéen. C'est peut-être un atout touristique à développer mais un tel épisode ne peut qu'avoir des conséquences sur la végétation.

Une végétation soumise à rudes épreuves

La photographie est bien sûr fausse mais elle pose une question : si l'évolution du climat a été si forte entre 2010 et 2019 dans l'Allier au point de nous donner un climat méditerranéen, comment la végétation a-t-elle vécu ce changement?

Des sécheresses inattendues en automne et en hiver

Les sécheresses estivales sont les plus évidentes mais il y en a d'autres aux effets plus complexes à comprendre. 

Octobre 2017 a connu par exemple une sécheresse importante avec à peine 10mm de pluie pour un mois qui dans le climat classique montluçonnais en compte 60. Sur le moment, pas de conséquences graves et visibles dans cet automne où de toutes façons les feuilles se colorent et tombent. La conséquence est apparue 6 mois plus tard et seulement pour les yeux avertis des apiculteurs : au printemps 2018 aucune fleur d'acacia pour nourrir les abeilles et leur permettre de faire ce miel si recherché par les consommateurs. Octobre est en effet la période d'induction florale pour l'acacia ou plus précisément le robinier faux-acacia : l'arbre prépare les bourgeons floraux du printemps prochain. Le stress hydrique subi par les acacias en octobre 2017 a empêché cette induction florale et au printemps pas de fleur.

2015 et 2016 ont connu une sécheresse aussi originale par rapport au climat montluçonnais classique : en décembre. En terme de végétation l'impact est moins évident puisqu'une grande partie de celle-ci est déjà au repos. Toutefois pendant ces périodes de repos végétatif, les précipitations sont importantes car c'est à ce moment qu'elles pénétrent sans être captées par les végétaux et rechargent les nappes phréatiques. Ce décembre sans pluie en 2015, c'est une année 2016 avec des nappes moins pleines. Cela s'est avéré d'autant plus problématique que 2016 a connu ensuite 4 mois de sécheresse estivale. La végétation et surtout les arbres ont particulièrement souffert pendant cet été : 4 mois en déficit de précipitations avec des nappes phréatiques affaiblies. Cela a enchainé avec un mois de décembre 2016 sec empêchant encore une recharge des nappes avant une année 2017 moins sèche que 2016 mais avec quand même un mois d'août sec. Cette succession de sécheresses estivales avec des nappes mal rechargées en raison de sécheresses hivernales est un vrai problème pour les arbres en place qui sont fragilisés voire meurent sur le moment ou plus tard. 

Des étés secs avec effet coup de chaud.

L'influence des sécheresses estivales est le plus évident surtout qu'elles sont souvent associées à la chaleur voire à des épisodes caniculaires. Si l'on regarde les graphiques des 10 années  (cliquez sur l'image ci-dessus), on voit que seules 2011 et 14 n'ont pas connu de sécheresse. Toutes les autres années ont connu des sécheresses d'un mois ou deux. Quant à 2016 et 2018, elles ont même connu 4 et 3 mois de sécheresse estivale. La sécheresse estivale est donc devenue la norme sur ces 10 années alors que, rappelons-le, dans le climat classique montluçonnais, l'été était la période la plus humide. Cette inversion rapide du régime des pluies est très compliquée pour les plantes installées comme les arbres. Un joli chêne de bocage s'est installé au cours des cent dernières années dans un climat tout différent et se voit contraint de s'adapter très rapidement alors que son développement s'est fait dans un climat d'été humide. Développer de nouvelles racines, changer sa structure racinaire pour aller chercher en profondeur alors qu'avant ses racines s'étalait pour capter les pluies... Toutes ces adaptations sont compliquées et coûteuses en énergie, surtout pour des arbres adultes voire vieux. 

La chaleur vient s'ajouter à cette sécheresse. En effet quand il fait très chaud ou quand il fait sec, les plantes réagissent en fermant leurs stomates, ces petits orifices de respiration présents sur les feuilles et qui permettent l'évapotranspiration de la plante c'est-à-dire la perte de vapeur d'eau. Cette évapotranspiration permet la montée de la sève brute dans la plante jusqu'aux feuilles par capillarité où elle est transformée en sève élaborée qui va nourrir la plante. Une plante qui ferme ses stomates pour ne pas mourrir de soif est en même temps une plante qui se condamne à souffrir de la faim. De plus le redémarrage de cette capillarité est compliqué, mal connu encore dans ses mécanismes précis, mais très coûteux en énergie. La sécheresse estivale et les coups de chaleur des épisodes caniculaires successifs sont autant de stop-and-go de la nutrition de la plante à une période où au contraire elle devrait recharger ses réserves énergétiques. Pour les arbres, cet affaiblissement se répète d'années en années ce qui fait qu'ils ne sont pas morts aux premières années de sécheresse mais qu'on les voit mourrir petit à petit au fil des années suivantes même lors de sécheresses moins fortes.

Le coup de sèche-cheveux du mois de juin pour un été roussi.

Enfin l'évolution du climat montluçonnais sur 2010-19 présente un aspect trompeur pour la végétation. En effet le printemps est très pluvieux sur avril mai juin avec mai comme mois le plus pluvieux. C'est l'époque où la végétation fait sa croissance, déploie ses feuilles avec de nombreuses feuilles aux nombreux stomates tous ouverts en raison du temps humide. Elle se développe donc adaptée dans sa partie foliaire à ce contexte printanier humide. Survient alors un épisode qui se répète tous les ans  depuis au moins 6 ans mais qui n'apparait pas véritablement sur les moyennes mensuelles des diagrammes (les moyennes lissent les phénomènes extrêmes). Tout le début juin est très humide et plutôt frais puis tout d'un coup, aux environs du 20 du mois, le temps s'inverse pour une semaine au moins avec un épisode très chaud voire caniculaire certaines années, sec et très venteux. Le bocage alors subit un véritable coup de sèche-cheveux : en une semaine, herbes et arbres tout verts en cette fin de printemps sèchent d'un coup, non pas jaunissent mais roussissent carrément en quelques jours. Les arbres perdent dès lors une partie de leurs feuilles et de leurs fruits pour les fruitiers. Ce bocage grillé en quelques jours devient le paysage de l'été au moins jusqu'à la deuzième quinzaine d'octobre où le retour des pluies donne un répit aux arbres qui ont tendance d'ailleurs à garder leurs feuilles restantes plus longtemps, jusqu'à décembre même certaines années. Ce phènomène se voit même sur une année plus pluvieuse comme 2019 car on retrouve cet épisode sèche-cheveux après un printemps très humide.

Une végétation devenue inadaptée?

Le changement de climat peut remettre en question de manière plus profonde la végétation. En effet, à chaque climat correspond une végétation adaptée qui se développe naturellement et atteint un équilibre stable : c'est ce qu'on appelle la végétation climacique, et cet état d'équilibre naturel vers lequel tend un écosystème s'appelle climax. Si on déséquilibre cet état, comme la végétation est adaptée aux conditions, elle retourne vers ce climax. Ainsi en climat tempéré, la végétation climacique est la forêt : laisser un carré de pelouse sans intervention pendant une cinquantaine d'années et vous aurez une forêt. Toutefois selon le climat et le sol la forêt sera différente. Une belle futaie de chênes pédonculées et de hêtres est la végétation climacique du climat océanique. Le climat montagnard est une dégradation du climat local : sa végétation climacique est donc la forêt du climat local mais qui voit l'apparition avec l'altitude de conifères dans cet ordre  : pin sylvestre pour les étages bas, puis sapin et épicéa, puis pin à crochets et mélèze plus haut. Le climat méditerranéen connait lui deux forêts typiques, deux végétations climaciques selon le sol. En sol plutôt siliceux, c'est la forêt serrée de chènes lièges accompagnés de pin, de myrte, de ciste, de lavande et de callune. En tout sol mais avec une préférence pour le calcaire, c'est la forêt de chènes verts avec comme végétaux associés : pistachiers, caroubier, laurier, thym, romarin, arbousier, chêne kermès, genévrier, érable de Montpellier, ...

Paradoxalement les deux végétations les plus connues du climat méditerranéen, la garrigue en sol calcaire et le maquis en sol siliceux ne sont pas climaciques : elles sont liées à la destruction des forêts suivie par un surpaturage et une érosion forte qui a détruit les sols. Les nouvelles conditions de sol malgré la permanence des conditions climatiques ont entraîné une nouvelle végétation appelée para-climacique : elle s'équilibre naturellement à l'échelle des temps humains mais sur des temps plus longs elle doit reconstituer les sols pour assurer le retour de la végéatation climacique. Autrement dit, guarrigue et maquis sont les végétations spontanées du climat méditerranéen sur sol dégradé le temps qu'ils reconstituent les sols pour permettre le retour des végétations climaciques que sont les forêts de chênes verts ou de chênes lièges.

Ce détour méditerranéen montre que la végétation d'un lieu peut changer si les conditions de sols ou de climat se transforment et que les végétations climaciques peuvent être altérées. Alors qu'en est-il de notre flore bourbonnaise? L'actuelle est la végétation climacique d'un climat océnique dégradé c'est-à-dire une futaie de chênes pédonculés et de hêtres dont l'exemple typique est la magnifique forêt de Tronçais (voir image 3). Les conditions de sol ne changent pas mais si le climat change durablement comme sur la période 2010-2019 pour un type méditerranéen, il se peut qu'une végétation paraclimacique s'installe durablement ou qu'au moins la végétation classique bourbonnaise ne soit plus du tout adaptée aux nouvelles conditions climatiques. Cela peut entraîner son dépérissement mais aussi sa mise en concurrence avec une végétation de type méditerranéen qui trouverait ici des conditions favorables. C'est déjà le cas pour les plantes annuelles ou à développement rapide à l'échelle nationale comme le montre une étude du Muséum d'Histoire Naturelle. Pour les arbres le changement peut prendre plus de temps, plusieurs dizaines d'années au minimum mais il est vrai qu'il n'y a rien de commun entre la chênaie de type Tronçais et une chênaie méditerranéenne de chênes-lièges (voir image 4). Il ne faudrait pas que Tronçais productrice de tonneaux deviennent productrice de bouchons au siècle prochain même si l'on reste dans la filière...

Ce changement climatique dans l'Allier met donc à mal la végétation en place. Celle-ci était adaptée à son climat océanique dégradé avec son bocage et ses grandes forêts de chênes arrosés par les pluies d'été. Elle doit résister à l'évolution rapide des dix dernières années  : un climat méditerranéen marqué des sécheresses, un déficit d'eau et et un coup de sèche cheveux en début d'été. Sans avoir bougé, la végétation bourbonnaise se retrouve indaptée dans ce climat méditerranéen qui s'est installé et qui correspond à un autre monde végétal.

En bref, si vous ne voulez pas tout lire

C'est le moment de conclure ce long article mais les éléments découverts sont si étonnants qu'il fallait prendre toutes les précautions nécessaires pour prouver ces affirmations. On sait combien dans le domaine climatique les trolls, fake news et autres climatosceptiques sont nombreux. Alors pour résumer, il y a au départ une idée : voir comment le changement climatique se manifeste dans l'Allier en comparant les données climatiques de Montluçon, c'est-à-dire sur 30 ans, avec l'évolution des dix dernières années (2010-19). Il s'en dégage une tendance que tous ressentons mais qui se retrouve là établie scientifiquement et non à base de ressentis toujours trompeurs. Dans l'Allier le changement climatique se traduit par des épisodes plus chauds en hiver comme en été avec des canicules. Ces épisodes très ressentis n'impactent pas encore véritablement les températures moyennnes qui les lissent même si leurs effets ponctuels sur la végétation sont importants. 
Le changement principal tient aux précipitations dont le régime est modifié par le réchauffement climatique global: 

- 30 à 45% de précipitations annuelles en moins sur 2010-2018,

- des sécheresses estivales de plus d'un mois tous les étés sauf 2011 et 2014 avec parfois 3 ou 4 mois comme en 2016 et 2018. Ces sécheresses estivales sont le plus souvent inaugurées par un "coup de sèche cheveux" en début d'été, une période sèche, chaude et venteuse qui vient roussir subitement la végétation. Elles sont aussi renforcées par des sécheresses hivernales comme en 2015-2016 qui empêchent la recharge des nappes phréatiques.

- une inversion du régime des pluies avec des étés secs quand ils étaient la période la plus pluvieuse de l'année.

- l'apparition d'un climat subméditerranéen qui remplace le traditionnel climat océanique dégradé.

Ce bouleversement climatique (car c'en est un puisque le climat est complètement transformé par l'évolution des précipitations) touche énormément la végétation qui n'est plus adaptée. C'est encore plus vrai pour la végétation installée comme les arbres qui se sont développés dans un autre monde climatique que celui apparu au cours des dix dernières années. Ils supportent mal ces nouvelles conditions estivales qui les assoiffent, les affament, les fragilisent face aux maladies ou parasites (qui profitent de ces nouvelles conditions pour se développer) et les met potentiellement en concurrence avec une végétation méditerranéenne adaptée à ce nouveau climat.

Alors que faire? Bien sûr, ce problème local vient d'un problème global et il n'y a donc d'autres solutions que de lutter globalement contre le changement climatique et nos émissions de GES qui les causent. Au niveau local, il y a peu de solutions pour la végétation naturelle ou spontanée qui va changer, transformant nos paysages. Pour la végétation cultivée et les pratiques agricoles, il est impératif de faire évoluer les pratiques et de rechercher des variétés plus adaptées non pas dans des variétés OGM ou autres bricolages high tech mais dans la multitude de variétés anciennes existantes, peut-être simplement en les cherchant dans le bon climat. De même pour les changements de pratiques, les solutions low tech et donc low énergie et donc low GES, seront à privilégier et l'agroécologie, la permaculture, l'agroforesterie en proposent beaucoup que certains de nos producteurs sont en train d'essayer mais cela nous y reviendrons une autre fois.


Pour aller plus loin sur ces thématiques climatiques : 

Agriculture et changement climatique. Quels sont les rapports réciproques entre agriculture et changement climatique?

Le changement climatique, le GIEC et le Panier. Comment notre alimentation peut lutter contre le changement climatique?


Vous trouverez ici en format PDF les documents principaux de cette étude : Comparaison climat/période 2010-19 et Diagrammes 2010-19.

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