Rencontre Du 3e Type : L'Agriculture Amapienne.
Dans toutes les sociétés et depuis le néolithique, il n'existe que deux formes d'agriculture selon ce que l'agriculteur fait de sa production : l'agriculture vivrière dont la production sert à nourrir le paysan et sa famille et l'agriculture commerciale dont la production est destinée à la vente. Toutes les formes d'agriculture peuvent être réparties selon ces deux finalités : se nourrir ou vendre. Ces finalités différentes donnent des caractéristiques différentes à ces deux agricultures. L'apparition des amap fait-elle apparaître une nouvelle forme d'agriculture?
L'agriculture vivrière
Dans le cas de l'agriculture vivrière, le paysan produit pour se nourrir, lui et sa famille. C'est donc une polyculture qui présente une assez grande diversité puisqu'elle doit nourrir de manière satisfaisante en quantité comme en diversité : céréales, légumes secs et légumes, fruitiers et quelques bêtes pour le lait, les oeufs et de temps en temps la viande. Le nombre des bêtes est restreint par le fait que leur nourriture doit être produite par l'exploitation (prairie, grain ou autres) et sur des espaces intersticiels (haie) ou communaux (estives, landes...). L'exploitation est de petite taille puisqu'elle doit être cultivée uniquement par ceux qu'elle nourrit. Les intrants agricoles sont restreints à ceux produits par la famille (matière organique, compostage divers). De même la mécanisation est limitée car elle coûte trop chère par rapport à son gain d'efficacité et car c'est pour l'essentiel une agriculture jardinée avec principalement du travail manuel ce qui lui permet d'être productive. Enfin elle ne doit que nourrir la famille, même si des surplus peuvent être vendus : elle ne vise donc pas à produire toujours plus dans l'absolu mais à produire plus efficacement et plus sûrement une production dimensionnée par et pour la famille (travail et nourriture). Cette agriculture vivrière est efficace puisqu'elle remplit la fonction de l'agriculture (nourrir) sans gaspillage énergétique, ni pollution. De même elle est écologique et permet des paysages variés grâce à la polyculture. Elle n'est donc pas forcément une agriculture pauvre et insuffisante comme le montre par exemple le système mexicain de la milpa. Une étude récente a montré que 70 à 80% de l'alimentation mondiale était produite par des petites exploitations de type vivrier qui ne cultivent pourtant qu'un quart des terres.
Toutefois elle présente les défauts dus à sa finalité : elle sert à nourrir la famille et si il y a un problème de production, cela se traduit par un défaut d'alimentation immédiat pour celle-ci, d'où une relative fragilité. De plus elle ne nourrit que la famille et personne d'autres ce qui fait qu'elle est le modèle agricole d'une société de paysans, ce qui n'est pas le cas de la nôtre.
L'agriculture commerciale
L'agriculture commerciale produit pour vendre et l'exploitant vit de la vente de ses produits. Elle dépend donc d'un marché qu'il soit local, mondial ou même financiarisé, selon les époques et les producteurs. Ce qui nourrit l'agriculteur, c'est sa marge, la différence entre le prix du marché fluctuant et de moins en moins lié aux produits eux-mêmes et à leur usage alimentaire, et les coûts de production. Or ces coûts de production sont aussi dépendants d'un prix de marché que ce soit la main d'oeuvre, les machines, les engrais chimiques, les pesticides, les herbicides et les semences, aujourd'hui brevetées et F1 (stérile après 1 génération) ce qui contraint au rachat chaque année. L'agriculteur est donc totalement dépendant de marchés qu'il ne maîtrise pas en amont et en aval de sa production que ce soit les intrants ou les intermédiaires de distribution (voir le paragraphe Pour une agriculture juste pour le coût de ces intermédiaires). Conclusion de cette double dépendance : l'agriculteur essaie de produire plus pour que sa producton, même à prix sacrifié, lui permette de vivre et pour cela il a recours à tous les armes du productivisme déjà vues (de la mécanisation aux OGM en passant par les produits phytosanitaires), à une course à l'agrandissement qui se paye par des emprunts à rembourser, et à une spécialisation dans une monoculture pour des économies d'échelle plus efficaces. Cela conduit donc à des problèmes écologiques, des pollutions, une dégradation paysagère (remembrement et monoculture...) et surtout un gaspillage énergétique puisque ce type d'agriculture utilise 7 calories d'énergie principalement fossile pour produire 1 calorie d'aliment.
Le problème de cette agriculture pour l'agriculteur est qu'elle ne lui assure aucune sécurité : il survit coincé entre prix de vente et prix de revient qui tous deux fluctuent sans qu'il puisse rien y faire. L'autre problème est ses conséquences écologiques catastrophiques comme le montrent les problèmes de l'agriculture bretonne par exemple. Le principal problème est enfin visible dans ce paragraphe même : on n'a toujours pas parler de produire des aliments. En effet l'impératif économique étant le premier de l'agriculture commerciale, l'agriculture est souvent détournée de la production alimentaire humaine comme le montre l'exemple brésilien ou la ferme des 1000 vaches. L'agriculture commerciale porte dans sa logique même ce que l'on appelle aujourd'hui les agricultures productivistes et industrielles. L'agriculture commerciale a pour but de nourrir le marché en fonction de ce qu'il demande mais ne permet pas de nourrir la population mondiale car l'agriculture est détournée de sa fonction alimentaire, cause des problèmes écologiques et maltraite les agriculteurs en les écrasant dans une dépendance.
L'agriculture amapienne
A mon sens, il existe, à côté de ces deux agricultures, une forme nouvelle : l'agriculture amapienne, c'est-à-dire celle que pratique un producteur pour les membres d'une amap. Cette nouvelle destination de la production en fait un nouveau modèle d'agriculture.
Bien sûr l'agriculture amapienne semble à première vue une agriculture commerciale mais par bien des caractéristiques elle s'en éloigne. L'agriculteur produit pour vendre mais il ne vend pas selon un marché fluctuant et à une clientèle passante. Il vend par contrat annuel sur une saison de production, ce qui change tout. Le prix de vente n'est pas soumis au marché mais au contrat c'est-à-dire à l'accord entre agriculteur et amapien. Les paniers sont à prix fixe sur l'année et à dimension constante c'est-à-dire destinés à nourrir pour une semaine un même nombre de personnes. L'agriculteur compose ensuite le panier pour accorder la dimension et le prix fixes du panier avec les légumes disponibles et leurs prix, en variant les quantités de légumes chers ou moins chers à produire. Ainsi la fonction alimentaire du panier est maintenue et son prix fixe aussi. Le contrat permet donc de sortir l'aliment de la dépendance au marché.
La vente par contrat permet aussi de sortir l'agriculteur de sa dépendance au marché. Le prix de vente est garanti par le contrat ce qui garantit les revenus annuels en fonction du nombre de contrats passés. Cette sécurisation par le contrat a d'énormes conséquences culturales. L'agriculteur sait ce qu'il doit produire et ce qu'il vendra sûrement : il ne cherche plus à produire le plus possible mais à produire plus efficacement et plus sûrement une production dimensionnée en fonction du nombre de contrats. Cela a pour conséquence directe de limiter les intrants, la mécanisation à outrance. En effet ces intrants ont des prix fluctuants selon les marchés et les fournisseurs ce qui réintroduirait une dépendance de l'agriculteur : si le prix du contrat est fixe mais que celui des intrants est changeant alors la marge de l'agriculteur n'est plus assurée. Ainsi l'agriculture amapienne doit être, par sa logique économique même, une agriculture biologique pour que la sécurisation du revenu de l'agriculteur grâce au contrat ne soit pas remise en cause par la dépendance au prix des intrants. Nourrir de manière biologique, locale et diversifiée la population en contrat fait donc de l'agriculture amapienne une agriculture écologique et positive en terme de paysage. Il n'y a pas nécessairement polyculture dans chaque exploitation mais il y a dans chacune une diversité de cultures propre à l'agriculture biologique et à l'échelle du territoire local, il y a polyculture pour convenir à la diversité de l'alimentation.
L'agriculture amapienne est donc bien une troisième voie agricole entre agriculture vivrière et agriculture commerciale. Comme l'agriculture vivrière elle sert uniquement à nourrir une population avec une agriculture positive écologiquement mais elle la dépasse car elle ne nourrit pas que le paysan mais un groupe plus large lié par le contrat. Comme l'agriculture commerciale, la production est vendue, permet d'accèder aux échanges monétaires mais, au contraire de celle-ci, elle est indépendante du marché, produit pour l'alimentation, garantit la sécurité du paysan, car le contrat assure ses revenus, et celle du consommateur par une agriculture biologique et écologique (pour plus de précision sur la distinction entre les deux, voir Pour une agriculture locale). Ainsi l'agriculture amapienne apparaît non seulement comme un nouveau type d'agriculture mais comme la meilleure solution pour nourrir les hommes dans nos sociétés car elle supprime les principaux problèmes alimentaires, agricoles et environnementaux.
Octobre 2014