Et si on parlait vertement du Brésil?

Le paradoxe alimentaire brésilien

Le Brésil est un grand pays agricole. En 2012, il était le premier producteur mondial de sucre de canne, de café et de jus d'orange, des produits brésiliens par excellence. Toutefois son agriculture est aussi forte dans d'autres productions : c'est le 2e producteur de soja, le 3e pour le maïs, la viande bovine (à égalité avec l'Union européenne) et les volailles, et enfin le 4e pour la viande de porc. 

Le paradoxe alimentaire du Brésil est que la 3e agriculture mondiale n'arrive pas à nourrir sa population. En 2009, 1 Brésilien sur 3 souffrait de la faim et d'une ration alimentaire insuffisante, soit 64 millions de personnes. La manifestation principale  de cette insécurité sont de nombreuses carences qui touchent les enfants entrainant des maladies et des problèmes de développement.

Cette contradiction entre agriculture florissante et alimentation insuffisante s'explique par le fait le Brésil a une agriculture exportatrice. Café, sucre et jus d'orange  s'exportent dans le monde entier et principalement en Europe, le premier client du Brésil pour faire nos petits déjeuners.
Plus frappant encore : le soja brésilien (2e producteur mondial) est entièrement voué à l'exportation. Il a trois usages particuliers. Il sert à l'industrie agro-alimentaire sous forme d'adjuvant comme la fameuse lécithine de soja (E322 pour plus de discrétion sur les emballages), un émulsifiant qui donne de la structure aux produits tout prêts. Il sert aussi de fourrage protéiné sous forme de tourteaux de soja  qui permettent d'engraisser les animaux d'élevage européens. Enfin, il est distillé en bio-éthanol pour composer les 10% d'éthanol du Sans plomb 95 - E10 dont raffolent nos voitures et que l'on nous a présenté comme biocarburant.

Le problème de la faim au Brésil n'est donc pas un problème de production agricole mais de l'usage qui est fait de cette production. Le Brésil a choisi de nous nourrir, de nourrir nos animaux et nos voitures plutôt que de nourrir sa population. Ce choix s'explique avant tout par la dette brésilienne, la deuxième au monde : le Brésil a besoin d'exporter pour rembourser sa dette, quitte à laisser 1/3 de sa population le ventre vide.

La fazenda, une exploitation sans limite

L'agriculture pratiquée par les fazendas explique le paradoxe alimentaire brésilien. Les fazendas ce sont les grandes exploitations agricoles brésiliennes. Héritées des plantations coloniales, les fazendas pratiquent la monoculture d'exportation : une seule culture sur toute l'exploitation qui sera ensuite exportée.
L'image montre le gigantisme des fazendas : il ne faut pas moins de 25 moissonneuses de front pour récolter ce "champ" de soja. Quant à l'exploitation toute entière, elle recouvre 100 à 150km² d'un seul tenant soit un carré de 10 à 12km de côté.
Une monoculture à cette échelle est très fragile car sur des kilomètres, il n'y a plus qu'une seule espèce, une sorte de paradis pour les ravageurs ou les maladies de la plante cultivée. Les fazenderos aidés par les semenciers comme Monsanto ont trouvé d'après eux une parade à cette absence de biodiversité qui fragilise leur culture : les OGM et leurs alliés inséparables les pesticides. 
Autorisés seulement depuis 2005, les OGM représentent déjà en 2012, 1/3 du coton brésilien, 2/3 du maïs et surtout 89% du soja. Ces cultures OGM sont modifiées pour résister aux pesticides et herbicides et sont arrosées de ces substances plusieurs fois par saison. En effet la plupart des OGM actuellement cultivés ne protègent pas des maladies, ni des ravageurs mais des pesticides, ce qui permet d'utiliser abondamment les pesticides sur ces plantes OGM pour détruire toutes les autres plantes ou ravageurs. Un joli cocktail OGM et pesticides qui fait de ces grandes monocultures des zones particulières : celles qui recèlent la plus faible biodiversité au monde, même devant les déserts, les glaciers ou les parkings de supermarché.
Enfin ce système de monoculture où l'OGM est la norme pose problème pour notre propre alimentation : la moitié du soja consommé par l'élevage européen vient d'Argentine et du Brésil et est donc en grande partie OGM. On arrive donc à un paradoxe européen : la culture d'OGM est encore heureusement interdite en Europe  pour l'instant mais notre élevage se nourrit d'OGM sans que nous le sachions. Il n'est en effet pas obligatoire d'étiqueter la consommation d'ogm par le bétail selon les normes françaises et européennes.
On retrouve là le principe qui permet l'entrée des OGM à tous les niveaux : le principe d'équivalence en substance développé par les juristes des semenciers qui veut que de la viande de boeuf élevé aux ogm reste de la viande de boeuf et qu'une tomate ogm reste une tomate et doivent bénéficier de la même règlementation qu'une viande ou qu'une tomate sans OGM.

La Fazenda au coeur des problèmes brésiliens. 

Ces fazendas ont des conséquences sur toute la vie du Brésil.

Dans les régions cultivées, les fazendas se sont constituées au détriment de petits paysans. Ils ont été chassés de leurs terres par les fazenderos, les grands exploitants, et leurs milices privées, qui ont profité de l'absence de titres de propriétés terriennes au Brésil. 
Ces paysans sont devenus des paysans sans terre, c'est-à-dire plus rien, sans travail, sans revenu et surtout sans alimentation : 4 millions de familles sont aujourd'hui des paysans sans terre. C'est là un autre paradoxe brésilien : ce sont les paysans qui souffrent de la faim.

Pour ces sans terre, une seule alternative : s'installer de manière précaire sur les zones non cultivées des fazendas en étant à la merci des milices, ou fuir vers les villes. En 20 ans, 30 millions de paysans ont fui vers les grandes villes du littoral ou plutôt vers leurs bidonvilles, les favelas. Ces villes explosent : Sao Paulo compte 20 millions d'habitants. Enfin dans ces villes, le bidonville n'est pas une petite zone d'habitat temporaire comme on le pense souvent. On y vit sur plusieurs générations et c'est l'habitat d'une grande partie de la population : 1/3 des 6 millions d'habitants de Rio et 54% de ceux de Bélem. La ville brésilienne c'est avant tout la favela, avec sa pauvreté et sa violence (12000 meurtres par an à Sao Paulo).

Les fazendas s'agrandissent ou se constituent aussi par défrichement des zones forestières et en premier lieu l'Amazonie. Cette progression des fazendas et de la monoculture du soja sont la principale cause de la déforestation galopante de l'Amazonie : 20 000 km² déboisés tous les ans soit 3 fois le département de l'Allier. Cette déforestation nuit à la biodiversité puisque l'Amazonie concentre 20% des espèces végétales et animales présentes sur terre. Cette déforestation participe aussi au réchauffement climatique puisque elle l
ibère, à elle seule, environ 200 millions de tonnes de carbone par an, soit 3% des émissions mondiales.

L'exemple brésilien montre bien que le rapport entre agriculture et alimentation est le centre d'une société et dans le cas présent le coeur de tous ses problèmes.

L'agro-écologie paysanne, une solution pour le Brésil?

Le problème de l'alimentation brésilienne est la concentration de son agriculture dans des grandes exploitations pratiquant une monoculture exportatrice. Il faut donc rediriger l'agriculture vers l'alimentation des Brésiliens  ce qui peut avant tout passer par une agriculture paysanne dans laquelle les paysans ayant retrouver des terres peuvent se nourrir et nourrir leurs voisins. 
Il existe une agriculture paysanne au Brésil mais celle-ci n'est pas toujours efficace. Dans le Nord Este par exemple, la culture traditionnelle  est celle des haricots et du maïs plantés ensemble dans un champ. Comment rendre cette agriculture plus efficace? Des engrais, des pesticides et des machines, c'est la réponse classique et fausse apportée depuis plus de 50 ans puisque toujours inefficace. De plus ces populations sont souvent pauvres et ne peuvent payer ces intrants agricoles.

L'agroécologie peut par contre être une piste possible. Il s'agit d'une agriculture biologique qui veut recréer dans le champ un écosystème, plantes cultivées et autres êtres vivants s'entraidant. La milpa est une méthode agricole mexicaine traditionnelle qui pourrait servir d'exemple pour le nordeste. Plantes et climats sont en effet les mêmes sauf que la milpa rajoute des courges dans le champ. 
La milpa combine étroitement trois cultures, le maïs, les haricots et les courges, associés dans un même champ. De taille réduite - moins de deux hectares en moyenne pour une famille - la milpa permet une utilisation optimale des ressources naturelles. Concrètement, le maïs nécessite une bonne irrigation et un fort apport en azote pour sa croissance. Or, l'azote est fixé naturellement dans le sol par les plants de haricots, qui de leur côté grimpent sur les tiges robustes du maïs pour se développer verticalement. L'espace horizontal, le sol, est occupé par les plants de courges ou de citrouilles, qui offrent une couverture végétale idéale pour prévenir l'érosion, conserver l’humidité et capter les insectes prédateurs des ravageurs du maïs. Enfin, cette culture permet de nourrir complètement la famille qui la travaille, le tout sans achat de semence, de pesticide ou d’engrais. En effet, la milpa fournit des légumes (haricot et courge), une céréale (maïs) et des protéines contenues dans le haricot. L'image montre la végétation éxubérante de la milpa. Un système agroécologique tel que la milpa est une solution possible pour résoudre le problème alimentaire du nordeste. 

Cet exemple montre que l'agroécologie paysanne n'est pas une utopie qui ne permettra jamais de nourrir le monde. C'est au contraire la seule manière de nourrir les paysans du sud principales victimes de la faim aujourd'hui et d'un système agricole productiviste qui ne parvient pas à nourrir 1 habitant de la planète sur 7 car il utilise le produit agricole comme une marchandise et non comme un aliment.

Juillet 2014

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