Champs de bataille 1 : Mourir à Sivens.
La mort de Rémi Fraisse le 25 octobre 2014 a révélé au grand public l'affrontement se déroulant dans le Tarn, près de Gaillac, au sujet d'un projet de barrage sur la rivière le Tescou. Ce projet datant d'une vingtaine d'années veut créer un barrage et une immense retenue d'eau dans la vallée de Testet. Quels sont les véritables enjeux de ce barrage pour qu'il ait pu entraîner la mort d'un jeune homme?
Un Projet contesté
Un barrage contestable

La maïsiculture coeur du problème

C’est une plante qui est peu utilisée pour l’alimentation humaine et d’ailleurs les variétés plantées en France sont principalement fourragères. Son usage principal est l’engraissage des bêtes en élevage intensif, un modèle d’élevage lui aussi problématique et dans lequel on peut le remplacer par d’autres plantes. Sa seule utilisation légitime est l’élevage extensif des volailles où il peut facilement être remplacé par du blé, moins problématique.
Sa dernière caractéristique, la seule qui explique qu’on le cultive, est que la culture irriguée du maïs est la plus subventionnée mis à part celle du riz. La culture du maïs non irriguée est d’ailleurs moins subventionnée. Cette incitation à la production est due au fait que le maïs est l'objet de spéculations fortes sur le marché des céréales et d'une concurrence des prix entre Etats-Unis et Union européenne, les subventions ne servant qu' à baisser artificiellement le prix de cette céréale. En 2009, le cours du maïs était de 120€/t alors que le coût de production du maïs irrigué était de 147€/t dans le Tarn et Garonne qui a besoin d'une forte irrigation et de 109€/t dans l'Ain, département le plus rentable pour cette production. Ce rapport cours/coût montre qu'il n'y a aucun intérêt à produire du maïs dans le Tarn, et qu'il est même peu rentable dans l'Ain. Toutefois, la subvention PAC pour le maïs irriguée était de 47€/t. Ainsi une tonne de maïs produite rapporte 167€/t (prix de vente +subvention) et coûte 147€/t, soit 20€/t au final pour le producteur (Données France Agrimer). Seule la subvention rend donc le maïs intéressant à produire.
Le maïs et la renoncule
Entre ces deux camps, quel arbitre? Le pouvoir politique a un problème de positionnement dans cette affaire. Le conseil général est à l'initiative du projet et n'a donc aucune légitimité arbitrale. Le gouvernement est gêné : tout d'abord il a autorisé le barrage par l'intermédiaire du ministère de l'Environnement qui gère les cours d'eau alors que deux rapports montraient les problèmes environnementaux posés. Un autre problème explique la dureté de sa réaction contre les manifestants : remettre en cause un projet de développement voté (même dans des conditions peu transparentes) pour des raisons environnementales et suite à des manifestations, serait une jurisprudence qui risquerait de remettre en cause de nombreux projets en cours : Aéroport Notre-Dame des Landes et Ferme des Mille Vaches pour les plus connus et dont nous reparlerons.
Si Rémi Fraisse est mort à Sivens, c'est parce que deux civilisations s'y affrontent et que l'une, celle du productivisme, encore triomphante dans la réalite, mais finissante au niveau idéologique, risque d'y mourrir. Ne pas construire le barrage c'est créer un précédent qui remettra en cause tous les autres projets de ce type en cours et empêchera même les promoteurs de futurs projets de se lancer car ils craindront toujours que leur projet n'aboutisse pas.
Sivens est donc plus qu'un point chaud, un possible point de basculement entre deux mondes, entre deux rapports aux hommes et à la nature, entre le maïs et la renoncule à feuilles d'ophiglosse, fleur de la zone humide particulièrement chère à Rémi Fraisse.
la lutte n'est pas finie.
Un an après, le projet d'un grand barrage a pour l'instant été abandonné malgré les pressions locales constantes. Il est pour l'instant question des barrages moindres qui ne sont que des compromis et non une solution satisfaisante. La lutte à Sivens n'est donc pas finie et le choix entre les deux mondes pas abouti au niveau des autorités.
Preuve en est : l'interdiction par les autorités le 21/10/15 d'une manifestation commémorative en l'honneur de Rémi Fraisse sur le site le 25/10/15. Cette interdiction est due aux partisans du barrage qui veulent utiliser ce jour de commémoration : la FDSEA et une association de riverains ont prévu ce jour-là au prétexte des opérations de nettoyage sur le site. Plutôt que d'interdire cette contre-manifestation qui bafoue la mémoire de Rémi Fraisse, les autorités interdisent toute manifestation disant encore leur non-choix. Enfin, si c'est pour éviter de la violence, l'Etat semble ne pas se souvenir que c'est lui, et non les manifestants, qui le 25/10/15 a fait acte de violence et a tué.
En octobre 2018 il est question que la cour de cassation réouvre le dossier judiciaire clos précédemment.
Pour plus de renseignements, voir le dossier de Reporterre.net sur Sivens, ses suites et les nouveaux éléments de l'enquête.