Une planète pour combien?

Toutes les questions actuelles de ressources, d'alimentation, de transition écologique sont liées à la question du nombre. Il n'y a qu'une planète et la population mondiale augmente. Un monde fini avec une population croissante, cela ressemble à un bon début de scénario catastrophe. Beaucoup utilisent d'ailleurs cet argument pour justifier leur inaction écologique : pourquoi faire des efforts alors que de toutes façons la population augmente. Pour eux le problème est démographique et la démographie on y peut rien et puis c'est chiant. Bref continuons à danser dans la salle de bal du Titanic. 
Sauf que ce raisonnement, si c'en est un et non simplement une excuse, repose sur pas mal d'erreurs qu'un peu de démographie pourrait balayer.
Et donc, en avant pour une expérience hors du commun : retrouver l'espoir par la démographie.

Une population croissante mais pas tout le temps

La population mondiale augmente, tout le monde le sait et même le ressent car l'augmentation est aujourd'hui très rapide. Sur le graphique ci-contre, on peut voir que la population mondiale a été multipliée par 3 entre 1950 et 2017 passant de 2.5 à 7.5 milliards. Depuis novembre 2022, il y a 8 milliards d'êtres humains.
Une telle progression est affolante et souvent mal comprise car on a considère  souvent à tort que cette augmentation est constante et que donc il devrait y avoir aussi 3 fois plus de population dans 67 ans soit 22,5 milliards en 2082. C'est complètement faux : pour 2100, on prévoit 10 milliards et cela s'explique par le fait que l'augmentation de la population comme tous les phénomènes humains n'est pas constante, n'est pas linéaire mais par palliers.
C'est ce que montre le 2e graphique (cliquez dessus en dessous de l'image). Il change d'échelle temporelle et considère la population mondiale depuis -10000. De -10000 à l'an O, l'humanité n'augmente pas : la population reste stable. A cette échelle historique la stabilité ou une croissance très faible est la norme et l'augmentation actuelle depuis le XVIIIe siècle est ce qu'on appelle un accident, une situation anormale. Comment s'explique-t-elle?

La transition démographique, une révolution en cours

Lorsque les conditions de vie s'améliorent, cela influe sur la natalité et la mortalité et transforme la démographie : on appelle cela la transition démographique. Ce phénomène explique l'épisode de croissance démographique actuel et unique dans l'histoire. Il peut être décrit par le graphique ci-contre.
Avant la transition, les conditions de vie mauvaises  (sous-alimentation, absence de médecine et d'hygiène) entrainent une forte mortalité surtout chez les enfants qui est compensée par des familles très nombreuses. Forte mortalité et forte natalité : l'accroissement naturel de la population (l'écart entre les deux courbes) est donc faible et la population stable. C'est en gros la situation avant le XVIIIe siècle.
L'amélioration des conditions de vie se fait d'abord par l'alimentation et l'hygiène puis la santé. On entre alors dans la transition démographique car ces trois facteurs entrainent une baisse rapide de la mortalité. La natalité, elle  reste stable car elle répond aussi à des facteurs culturels (habitude des familles nombreuses, traditions...). La mortalité plonge, la natalité reste forte ce qui entraine un fort accroissement naturel et un explosion de la population.
Dans une deuxième phase de la transition démographique, la mortalité cesse de baisser et se stabilise à un niveau bas alors que la natalité plonge à son tour : on passe d'une famille élargie à une famille restreinte, la scolarisation entraine une baisse du nombre d'enfants, la place de la femme évolue, l'éducation des filles se diffuse ainsi que les moyens de contraception... L'écart entre les deux courbes se ressère, la population augmente toujours mais de moins en moins vite.
La transition démographique s'achève quand la natalité se stabilise elle aussi à un niveau bas. L'accroissement naturel retrouve un niveau faible, comparable à avant la transition et la population cesse d'augmenter.

Ainsi la transition démographique entraîne une période de très forte croissance de la population en raison d'un décalage temporel entre la chute de la mortalité et celle de la natalité du à l'amélioration des conditions de vie. Mais ce phénomène a un début et une fin. Avant la population n'augmente quasiment pas ; après, elle n'augmente quasiment plus. L'Europe est par exemple sortie de la transition démographique qu'elle avait commencée au XVIIIe s. et sa population n'augmente plus, voire diminue. 

Croissance finie et fin de la croissance

La croissance de la population mondiale n'est donc pas infinie comme on le pense trop souvent avec notre vision linéaire erronée des phénomènes historiques. Elle finira quand tous les pays auront fini leur transition démographique comme l'Europe et plus généralement les pays du nord.
Les autres parties du monde n'ont pas connu l'amélioration des conditions de vie en même temps et donc leur transition démographique s'est faite plus tardivement mais parfois plus rapidement comme le montre le graphique ci-contre. C'est le cas de l'Océanie, de l'Amérique du sud et même de l'Asie qui devrait l'avoir achevée dès 2040 et voir sa poulation baisser. Bonne nouvelle car l'Asie c'est la moitié de la population mondiale. 
Reste l'Afrique qui représente 1 milliard d'individus aujourd'hui et devrait en compter plus du triple à la fin du siècle. Elle est en pleine transition démographique avec une population jeune qui explose. Alors peut-on agir sur cette croissance démographique africaine?

La femme est l'avenir de l'Homme, de la démographie, du monde...

Il n'est pas là question d'agir de manière coercitive comme ont pu le faire la Chine et l'Inde. La première a imposé la politique de l'enfant unique : un enfant par couple autorisé, ce qui conduisait à l'abandon de tous les autres et surtout des filles. Au final, des orphelinats plein de filles et des régions sans femmes et très peu d'effet sur le nombre de naissances. L'Inde a suivi d'autres chemins aussi peu humains comme la stérilisation des femmes, forcée ou  par incitation financière, avec aussi peu de succès.
Ces politiques humainement inacceptables ont échoué car en plus elles ne tiennent pas compte des causes de la croissance : la transition démographique. Pour finir sa transition, sortir de la phase 2, il faut que la natalité baisse ce qui se fait par plusieurs facteurs, les principaux étant liés à l'éducation et en particulier à l'éducation des filles. En effet, scolariser les filles permet de reculer l'âge du mariage, de changer le statut de la femme, de baisser le nombre d'enfants, de développer la contraception... C'est ce que montre un état indien, le Kérala, où la scolarisation importante des filles a permis de baisser rapidement la fécondité, plus rapidement que partout ailleurs en Inde et dans le monde.
Le mouvement de baisse de la fécondité est d'ailleurs amorcé sur tous les continents y compris en Afrique ce qui est plutôt une bonne nouvelle comme le montre  le graphique. Pour qu'il ait la même rapidité qu'en Asie et en Amérique latine, il faut s'efforcer de développer la scolarisation des filles.
Ainsi le démographe chante avec le poète, la femme est l'avenir de l'Homme, ou plutôt l'avenir du monde et de sa population dépend de l'avenir que l'Afrique prépare à ses filles.

Démographie, surpeuplement et mode de vie

Ce petit tour en démographie permet donc de prendre un peu de recul par rapport à cette idée d'une croissance infinie de la population dans un monde aux ressources limitées. La croissance de la population actuelle est un fait unique dans l'histoire, la transition démographique, due à l'amélioration des conditions de vie. La fin de cette transition est proche à l'échelle du monde puisque seule l'Afrique n'est pas encore en train de l'achever. Pour l'accélérer, il faut assurer une bonne scolarisation des filles et plus largement plus d'égalité hommes/femmmes.

Le maximum de population devrait être atteint vers la fin du siècle avec 10 milliards d'êtres humains. Après la population sera stable. C'est beaucoup mais c'est loin d'être impossible. En effet notre agriculture pourrait aujourd'hui nourrir 10 à 12 milliards d'êtres humains si elle produisait à bon escient (voir Le Panier et la faim dans le monde).
Il n'y a donc pas au sens propre de surpeuplement à craindre car le surpeuplement n'est pas lié à un chiffre de population mais aux rapports entre les besoins de celle-ci et ses ressources. La population acceptable par la planète n'est pas fonction d'un nombre mais de l'empreinte écologique des individus en fonction de leur mode de vie. Ainsi il ne faudrait qu'1,7 milliards d'étres humains vivant à l'américaine pour surpeupler la terre, pour épuiser ses ressources! La solution est de se tourner vers un mode de vie plus durable, plus économes en ressources, plus efficaces dans leur utilisation qui permettra de vivre à 10 milliards sur cette planète.
Il n'y a donc pas vraiment de problème démographique mais un problème de mode de vie, et ça ça peut se changer. 

Janvier 2017, revu 11/2022


La plupart des graphiques sont dus à G.Pinson, qu'il en soit remercié.
© Copyright SiteName. Tous droits réservés.