La Confédération paysanne, une autre agriculture est possible... et nécessaire.

Cet article est extrait d'un panorama global des 3 principaux syndicats agricoles représentatifs français : Le Bon, la Brute et le Truand : Panorama des syndicats agricoles entre crises et électionsPour chacun de ces 3 syndicats, Confédération paysanne, Coordination rurale et FNSEA-JA, il expose sa vision de l'agriculture, ses réponses aux différents aspects de la crise agricole (crise du revenu, crise démographique, crise de durabilité et crise de sens), ses formes d'action très souvent révélatrices et sa vision de la souverainté alimentaire. N'hésitez pas à les comparer en allant sur l'article complet pour comprendre en quoi il y a un Bon, une Brute et un Truand parmi ces syndicats. 

Les autres articles par syndicat : 

La Coordination Rurale, Rugir dans nos campagnes mais après?

FNSEA-JA, entre mythe de l'unité, cogestion et réelle duplicité.

La Confédération paysanne, un autre modèle agricole est possible... et nécessaire

Ce titre montre dès le début le soutien apporté à ce syndicat mais il n'y a rien d'anormal à cela car l'agriculture prônée par la Conf correspond au modèle défendu par les AMAP, celui du maintien d'une agriculture paysanne, biologique, locale et juste. Reste à savoir ce qui fait de ce syndicat et de son modèle le bon...

Historique : créer une alternative agricole
En 1986, 2 petits syndicats paysans manifestent ensemble lors d'un discours du ministre de l'Agriculture et ex-dirigeant de la FNSEA, François Guillaume. S'ensuit la volonté de créer un syndicat opposé au seul syndicat reconnu de l'époque, la FNSEA-JA, qui cogère, avec l'Etat, l'agriculture française dans un modèle productiviste. Ils organisent alors des assises paysannes dans toute la France qui réunissent 15000 paysans et aboutissent en 1987 à la création de la Confédération paysanne. La Conf devient alors le syndicat d'opposition à la FNSEA-JA (jusqu'en 1992) et à son modèle productiviste. Aux élections professionnelles agricoles de 1989 elle obtient 18.6% et devient le seul syndicat agricole représentatif (>15%) à part la FNSEA-JA. Elle se fait ensuite connaître au cours des années 1990-2000 par des actions symboliques, son engagement dans les luttes contre les traités de libre-échange ou le démontage du MacDo de Millau pour protester contre la malbouffe. José Bové devient par la suite secrétaire général de la Conf en 2000 faisant ainsi connaitre la Conf au delà du monde agricole. En 2001, la Conf obtient 26.8% des suffrages aux élections agricoles, son meilleur score, avant de s'établir aux élections suivantes aux alentours de 20%. La lutte contre les OGM avec les Faucheurs volontaires, contre les hormones bovines suite à la crise de la vache folle ou contre les pesticides continue de faire connaitre la différence de ce syndicat qui, par rapport aux autres, porte les enjeux sanitaires et environnementaux, ce que prolonge aujourd'hui sa lutte contre les méga-bassines au nom du refus de l'appropriation des ressources et de l'idée de bien commun.

Vision de l'agriculture : pour une agriculture paysanne
Pour la Conf, il faut une agriculture paysanne, c'est-à-dire des paysans nombreux et solidaires dans des exploitations de taille raisonnable qui puissent vivre de leur travail et y trouver du sens : ils doivent produire pour nourrir la société, c'est-à-dire produire une nourriture saine de manière respectueuse de l'environnement, des ressources dont le sol, des paysages et du bien-être animal. Cela doit permettre une agriculture humaine, écologique, vivable, qui permet la souveraineté alimentaire, c'est-à-dire la capacité de maîtriser son alimentation, et qui fait vivre les campagnes dans un lien entre paysans, et entre paysans et population. Pour cela, il faut une agriculture qui vise plus d'autonomie sur la ferme en limitant les facteurs de dépendance (intrants, emprunts trop lourds) et il faut gérer les volumes de production pour que chacun puisse travailler avec des prix rémunérateurs. Enfin l'agriculture n'est pas qu'un travail isolé de production sur la ferme : elle doit être pensée par rapport aux enjeux de la société (local, national, global) car l'agriculture est une question de société qui irrigue et donne du sens au travail de la ferme dans une logique local-global.  

Crise du revenu : reprendre la main sur le revenu paysan.
La Conf pense que le paysan doit redevenir un acteur économique alors qu'il est aujourd'hui dépendant dans la chaîne agroalimentaire, coincé entre ses fournisseurs d'intrants en amont et en aval des circuits longs de transformation/distribution. Amont et aval fixent les prix des produits dans une agriculture mondialisée et captent l'essentiel de la valeur. Retrouver un revenu paysan passe donc par : 
En amont, avoir le plus d'autonomie sur la ferme pour limiter les intrants (semences, alimentation, énergies, engrais et phytosanitaires...) et limiter les investissements trop importants.
En aval, éviter les circuits longs et les intermédiaires pour les circuits les plus courts possibles et garder ainsi la valeur pour la ferme. 
En ce qui concerne la fixation des prix, elle ne doit pas être laissée à un marché mondial dérégulé et les prix agricoles ne doivent pas dépendre du marché mondial puisqu'on doit nourrir localement : 
- il faut une régulation des marchés qui passe par un partage des volumes de production. Ce partage doit être arbitré par les pouvoirs publics pour garantir des prix et permettre à tous de vivre.
- il faut interdire la vente à perte, en fixant un prix minimum qui est celui du prix de revient de l'agriculteur en tenant compte du prix de son travail.
Il faut penser aussi le paiement des services écosystémiques rendus par une agriculture paysanne. Par ailleurs il faut repenser les subventions qui doivent rémunérer le travail (subventions par actif) et non la taille, le capital (subvention par hectare).

Crise démographique : transmettre et installer des paysans. 
Pour la Conf, il est primordial de mettre fin à la tendance actuelle lors d'un départ à la retraite : au lieu de proposer la ferme à la reprise, elle est vendue à un autre agriculteur pour de l'agrandissement voire même à des entreprises foncières pour faire de l'agriculture de firme.
La course à l'agrandissement pose d'ailleurs un vrai problème pour la transmission et la reprise : le poids financier (prix de l'exploitation et l'endettement lié) et la charge de travail deviennent trop importants empêchant les transmissions comme les installations. Le modèle d'une agriculture paysanne avec des fermes de taille humaine et autonome est une solution pour permettre l'installation individuelle ou collective de paysans selon l'adage "mieux vaut installer un copain qu'agrandir son terrain". Le désir de la Conf est de revenir à 1 000 000 de paysans, chiffre des années 1990, pour permettre une souveraineté alimentaire et une revivification des campagnes, deux enjeux politiques qui impliquent de réelles aides de la part de l'Etat pour la transmission et l'installation et un soutien sans condition de taille minimum.

Crise de durabilité : un syndicat agricole et écologiste, parce que ça va ensemble, normalement...
La Conf est le seul syndicat qui promeut une agriculture écologique comme l'ont montré ses luttes (OGM, Hormones, pesticides, méga-bassines, artificialisation des terres...), qui pense que l'agriculture doit tendre toute entière vers l'agriculture biologique et qui demande une sortie collective des pesticides. Elle promeut des modes d'agriculture durable comme l'agroécologie par exemple qui permettent de ne pas contribuer aux crises climatiques  et de biodiversité et qui permettent en même temps à la ferme d'être résiliente par rapport aux conséquences de ces crises. En cela l'agriculture paysanne n'est pas passéiste mais en lien avec les enjeux actuels et qu'elle travaille par une vraie recherche agronomique à la ferme, au lieu d'une recherche purement technologique et subie. Pour la Conf, écologie et agriculture sont indissociablement liées car le vivant est le bien commun que l'agriculture travaille pour la société.

Crise de sens : des paysans autonomes et solidaires, en lien avec le vivant et ceux qu'ils nourrissent.
Tout est dans le titre et propose un modèle d'une agriculture paysanne vivante qui donne du sens au métier, de l'amont où l'on prend soin du vivant, à l'aval où l'on embellit les paysages où l'on vit, où l'on nourrit des populations que l'on connaît et où on peut nourrir sa famille de son travail.

Souveraineté alimentaire et opposition au Mercosur.
La conf est bien entendue opposée au traité avec le Mercosur mais ce qui la différencie des autres syndicats agricoles c'est qu'elle a toujours été opposée au libre-échange en terme agricole. Pour elle, l'agriculture doit nourrir localement et faire ses prix localement selon l'idée d'exception agriculturelle développée dès l'Uruguay Round des années 1990 qui préparait les accords du GATT pour que tous les prix des produits agricoles soient mondiaux. Elle s'est ensuite opposée à tous les accords bilatéraux qui ont suivi dont le dernier est le Mercosur. L'autre raison d'opposition est sa vision altermondialiste : un accord de libre-échange n'est pas mauvais uniquement parce qu'il empêche ici les paysans de vivre bien mais aussi parce qu'il permet à l'agriculture française d'exporter ailleurs et d'empêcher ailleurs les paysans de vivre bien. C'est une différence fondamentale avec les autres syndicats agricoles. Elle tient à l'idée de souveraineté alimentaire que la Conf, à travers la Via campesina dont elle est membre, a défini lors du sommet de la FAO à Rome en 1996 : la souveraineté alimentaire est le droit pour les personnes qui produisent et consomment de la nourriture de contrôler la production et la distribution de celle-ci. C'est donc le droit politique des paysans et des citoyens à être maître de leur alimentation et de leur agriculture. 

Actions et manifestations dans la crise actuelle (manifestations hiver 2023-2024 et novembre 2024)
Pour la Conf, les manifestations sont des moyens d'information de la population sur les enjeux agricoles et non de simples protestations ou de rapport de force. Ainsi les actions dans les supermarchés visent à montrer concrètement aux citoyens leur dépendance en triant par exemple les produits de Lactalys qui exploitent les éleveurs laitiers français. D'autres actions peuvent être ciblées contre un responsable comme dans le cas où la Conf a envahi les locaux de Lactalys pour être reçue ou les manifestations devant la commission européenne lors des discussions sur les nouveaux OGM. La Conf participe aussi aux grands mouvements écologistes comme à Notre-Dame des Landes, Sivens, Sainte-Soline car elle défend un projet de société...
Dans la crise de l'hiver 2023-2024, la Conf a montré sa différence avec les autres syndicats agricoles. Le mouvement a éclaté sur le GNR avec la Coordination rurale puis s'est étendu à la contestation du plan écophyto, moment où la FNSEA-JA est entrée dans l'action. C'est dans un 3e temps que les questions du revenu agricole et des normes administratives se sont imposées et la Conf a alors manifesté elle aussi sur ces 2 derniers mots d'ordre uniquement. Quand le gouvernement a accordé les revendications sur le GNR et la fin du plan écophyto, ainsi que de nombreux reculs environnementaux, CR et FNSEA-JA ont arrêté de manifester sans que rien ne soit fait sur le revenu à part l'engagement de l'application d'une loi déjà existante (quelle victoire) alors que la Conf a continué. Par ailleurs, quand FNSEA-JA et Coordo s'en prenaient aux agences de l'eau, à l'Inrae ou à l'Anses, la Conf manifestait en soutien à l'Agence de l'eau de Rouen attaquée 15 jours avant par la FNSEA-JA, montrant ainsi que que ceux qui veillent à la qualité de nos cours d'eau ne sont pas les ennemis des paysans mais ceux des syndicats agricoles anti-écologistes que nous allons voir maintenant. 

© Copyright SiteName. Tous droits réservés.