Chasse en cours... Soyez vigilants...

Chacun d'entre nous a déjà vu ce panneau sur le bord des routes car il est obligatoire : les chasseurs doivent avertir des chasses. Toutefois ce simple panneau de sécurité fonctionne comme un véritable lapsus révélateur du problème que représente la chasse dans les campagnes françaises. A partir de la mi-septembre et pour 6 mois, la chasse est en cours, partout et tout le temps en cours, les chasseurs chassent les sangliers qui sont les vrais dangers signalés par le panneau et c'est aux habitants et aux autres usagers de la campagne d'être vigilants, de faire attention pour ne pas se faire tirer dessus. On voit là tout le discours de la Fédération nationale des chasseurs, discours très offensif depuis quelques années pour défendre un loisir moribond et contesté, sans jamais remettre en cause les chasseurs et la chasse auxquelles la société doit s'adapter. Cette inversion de la réalité, car ce serait normalement à la chasse de s'adapter à la société, invite à une autre inversion: partons à la chasse aux chasseurs...   

Une pratique moribonde

La chasse est une pratique en perdition, contestée par presque tous et pratiquée par presque plus personne. Au niveau démographique, pour les chasseurs, c’est la catastrophe: 2,2 millions de chasseurs en 1976, deux fois moins en 2018 soit 1,1 millions de chasseurs licenciés en France (1.03 millions en 2020 selon la FNC). Et l’avenir n’est pas plus rose: les chasseurs sont vieillissants. 53% d’entre eux ont plus de 55 ans et même 29% d’entre eux ont plus de 65 ans. Bref ça sent le sapin sous les gibecières. A l’évocation de ces chiffres je me demande même pourquoi je fais un article sur la chasse et les chasseurs qui semblent voués à une disparition rapide. Je pourrais tranquillement laisser ceux qui ne sont plus des perdreaux de l’année tirer le dernier perdreau de leur vie avant que le problème se règle de lui-même. Toutefois ce serait oublier le caractère revendicatif de ces chasseurs qui au fur et à mesure du dépérissement de leur pratique et de leurs effectifs sont de plus en plus vindicatifs à l’image de leur ex-président Willy Schraen. Comme la bête acculée qui devient méchante, les chasseurs revendiquent leur existence à coup d’arguments tonitruants qu’il est bon de passer en revue.

Un loisir qui tue et qui fait souffrir, les hommes comme les bêtes

Loisirs et traditions ne sont plus des arguments recevables pour défendre la chasse car un loisir qui tue avec les accidents de chasse et qui repose sur la souffrance et la mort animale n’est plus acceptable pour la population qu’elle soit urbaine ou rurale. Les accidents de chasse sont en baisse mais ils sont encore trop nombreux pour une pratique loisir: entre 1998 et 2020, 3807 accidents ont été répertoriés, dont 505 mortels. De quel loisir accepterait-on qu’il tue une vingtaine de personnes par an? Par ailleurs les incidents de chasse sont très peu comptés car ils doivent pour cela être déclarés et le sont rarement. Pourtant, ces incidents fréquents sont importants pour les victimes: plomb dans les habitations ou les véhicules, plomb qui arrivent à proximité d’une personne, atteintes aux animaux domestiques par les balles ou les chiens, intrusions dans les propriétés… 

Seuls 39% des français interrogés, qu’ils soient urbains ou ruraux, pensent que la chasse est un loisir comme un autre et 65%, au contraire, que la chasse est une pratique cruelle selon une enquête Ipsos, Les français et la chasse, en septembre 2021. Cet aspect d’une chasse causant une souffrance animale est un élément fort de remise en cause. A l’heure où l’on traque à raison la souffrance animale dans les élevages et les abattoirs, comment accepter quelle soit gratuite dans un loisir du dimanche? Car cette souffrance animale est partout dans la chasse et dans toutes les chasses : la chasse à courre, à la glue, le piégeage et même la plupart des tirs laissent souffrir l’animal avant sa mort. Le sort des chiens de meute enfermés à l’année dans des chenils étroits et affamés avant les chasses sont aussi une trace de ce mépris pour l’animal. Cette cruauté, connue dans les campagnes, a été révélée par des vidéos sur les réseaux. Les vidéos de forçages de cerf par des chasses à courre jusque dans des villes, des chantiers de construction ou devant des portes de lotissements et sur le point d'être servis (tués à la dague) dans l’allée du garage ont montré l'acharnement des chasseurs et la souffrance de la bête avant la mise à mort. Ces pratiques sont inacceptables et ces vidéos montrent juste enfin la réalité de ce qui se déroulait à l’abri des regards dans nos forêts. Les chasseurs à courre ont bien compris cet enjeu médiatique et les grandes chasses d’Île-de-France recrutent maintenant des suiveurs qui ne chassent pas mais sont là pour surveiller les anti-chasses qui les filment et les journalistes. La chasse ne peut donc plus prétendre être un loisir et une tradition comme un autre: elle est contestée majoritairement et ce puissant lobby s’est donc trouvé de nouveaux arguments pour se justifier. 

Les premiers écologistes de France?

Alors un argument magique est arrivé, basé sur le principe bien connu de tous les menteurs: plus un mensonge est gros, plus ça passe. Cet argument a pris la forme d’une campagne de publicité propagande au slogan interrogatif car poser une question si aberrante c’est déjà y répondre: «Les chasseurs: les premiers écologistes de France?». Les images de cette campagne sont disponibles en ligne mais pour ne pas subir d'attaques de la FNC sur l'utilisation de cette campagne, vous trouverez donc ci-contre la contre campagne faite pas la LPO pour dénoncer chacune des affiches des chasseurs. La campagne de la FNC n’a absolument pas pris, la ficelle était trop grosse, comme disent les poseurs de collet. Toutefois elle montre l’idée phare des chasseurs: répondre aux écologistes qu’ils considèrent comme leurs ennemis, ces empêcheurs de tuer à loisir. C’est aussi la première fois que leur communication rentre dans une nouvelle stratégie: la captation d’image. Prendre l’image de l’écologiste pour détruire le discours écologiste qui s’oppose à la chasse, être "l’écologiste de terrain contre les écologistes de salon". Ce changement de discours, cette agressivité de la communication est due en grande partie à l’élection à la tête de la Fédération nationale des chasseurs en 2016 de Willy Schraen, lobbyiste tonitruant et véritable «Trump de la gâchette» selon les mots d’un de ses opposants qui a souvent eu affaire à lui, Yves Vérilhac, président de la LPO.

S’il est vrai que localement des chasseurs peuvent participer à des actions favorables à l’environnement comme des plantations de haie, ils n’agissent que dans l’intérêt du gibier et de la chasse et pas de l’environnement ou de la biodiversité: la haie servira le gibier donc la chasse. En effet pour un chasseur, un bon animal est un animal que l’on peut tuer et la biodiversité à préserver n’est qu’une biodiversité chassable, pas la biodiversité en général. Ainsi les fédérations départementales pyrénéennes de chasseurs se sont opposées à la réintroduction du bouquetin dans leurs départements au seul motif que le bouquetin n’est pas chassable en France et risquerait de contaminer ou de concurrencer le chamois qui, lui, est chassé. On voit là le niveau d’amour de la biodiversité des chasseurs.

Pour le reste, cet amour de la biodiversité de nos « premiers écologistes de France » se retrouve aussi dans la liste des espèces d’oiseaux chassables en France. Il y a 65 espèces d’oiseaux chassables en France métropolitaine alors que les autres pays européens n’autorisent à la chasse en moyenne que 39 espèces. Ces 26 espèces supplémentaires laissées aux chasseurs hexagonaux s’expliquent par le fait qu’en France on chasse les espèces menacées d’extinction: 20 espèces d’oiseaux chassables en France sont en effet des espèces de la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) car considérées comme des espèces menacées. Ces espèces sont protégées dans les autres pays européens et comme ce sont principalement des migratrices, elles sont tirées lors de leurs migrations ou de leur hivernage en France. En effet, 20% des prises annuelles des chasseurs français sont des oiseaux migrateurs terrestres et 13% est du gibier d’eau, en grande partie migrateur lui aussi, selon les chiffres de la FNC elle-même. Pour voir toutes ces espèces chassables, le site de la FNC propose de jolies photographies de ces espèces car il est nécessaire d’identifier le gibier chassé. Les premiers écologistes sont donc avant tout les premiers décimeurs de la biodiversité françaises chassant les espèces vulnérables et fragiles.

Parmi celles-ci se trouve la tourterelle des bois classée vulnérable par l’UICN, protégée partout en Europe et dont la population a été divisée par 5 entre 1980 et 2015. La France la reconnaît vulnérable mais chassable avec une confusion qui ne s’explique que par le lobbying des chasseurs. Le comité scientifique du Plan Biodiversité de 2018 recommande de ne plus la chasser du tout en raison de la chute de sa population (-80% en 40 ans). Dans la foulée et de manière totalement contradictoire, un arrêté ministériel autorise le tir de 30 000 oiseaux annuels. A partir de 2019, un autre arrêté fixe des autorisations annuelles: 18000 pour 2019-2020, 17460 (soyons précis dans le carnage!) pour 2020-2021*. Donc cet animal en déclin hyper rapide, protégé partout, peut être chassé avec l’aval du ministère de la Transition écologique qui gère aussi la chasse. De toutes façons, ces limitations ne sont que des faux-nez puisque le comptage des animaux tués est laissé aux chasseurs eux-mêmes qui doivent déclarés sur une application les tourterelles des bois tuées. On voit là une aberration complète: confier à un chasseur qui a décidé de chasser un oiseau en voie de disparition le soin de déclarer ceux qu’il a tués en risquant de s’empêcher d’en tirer plus. Ces dispositifs n’ont donc aucune chance de sauver la tourterelle des bois puisque, de toutes façons, ils ont comme unique but de sauver la chasse à la tourterelle des bois.

L’argument des chasseurs premiers écologistes de France n’a donc pas fonctionné et à raison, si ce n’est auprès du ministère de la Transition écologique pour pouvoir céder tête haute au lobby de la chasse et de quelques élus locaux comme Laurent Wauquiez qui, en Auvergne-Rhône-Alpes a confié biodiversité et environnement aux chasseurs en même temps qu’une grosse enveloppe financière au début de son premier mandat (article). Ce faux-nez du chasseur écologiste a cependant été la base de l'argument central actuel des chasseurs: celui de la régulation des espèces, un argument aussi à mettre en question.

(*Un moratioire est mis en place pour la saison 2022 mais toujours pas d'interdiction)

Les chasseurs et l'argument de la régulation

A l’argument écologiste, trop risible pour être crédible, a succédé dans la stratégie offensive de la FNC et de son président, l’argument de la régulation. Il est important car il est la légitimation fondamentale, la pierre angulaire de tout le discours pro-chasse. C'est lui qui autorisait par exemple les chasseurs à pouvoir sortir en plein confinement. L'argument est le suivant : c’est à la chasse et aux chasseurs de réguler les espèces et d’éviter les proliférations  par des «prélèvements de régulation». On voit bien l’évolution du discours: la chasse était un loisir, elle devient une fonction sociale, une nécessité, les chasseurs ayant la mission de réguler les écosystèmes et de protéger les campagnes des animaux (nuisibles). Ce terme est entre parenthèses car la nuisibilité ne veut rien dire en écologie, chaque espèce ayant ses fonctions dans l'écosystème. Si on l’enlève de la phrase on voit déjà le non-sens poindre : les chasseurs protègent la campagne des animaux, ce qui ne veut pas dire grand chose. Toutefois l'argument de la régulation est au coeur du discours pro chasse et il faut voir si cet argument n'est pas lui aussi mensonger car tout ce qui semble reposer sur le fameux «bon sens» ne repose bien souvent sur aucun fondement si ce n’est la paresse intellectuelle. Alors, si l’on creuse un peu, quels sont les gibiers tués par les chasseurs français qui pourraient faire d'eux des régulateurs? 

Réguler des espèces en tension?

On trouve la répartition ci-contre en image sur le site de la FNC et j'ai donc repris leurs chiffres pour ne pas subir de querelles sur les chiffres ce qui ne changera pas grand-chose à l'analyse. On a déjà vu que 20% étaient des migrateurs terrestres et 13 % du gibier d’eau, c'est-à-dire pour 33% des espèces d'oiseaux en tension et qu’il n’y a pas à réguler si ce n’est en les favorisant et en arrêtant de les chasser pour les laisser se développer. A ces espèces qu’il n’y a pas à réguler s’ajoutent pour 4 % les gibiers de montagne, petits et grands : chamois, mouflons, marmottes, lièvres variables, lagopèdes, grands tétras et tétras-lyre… Si l’on additionne on se retrouve déjà avec 37% des prises qui sont des espèces en tension  plutôt à laisser se développer qu’à détruire : nos écologistes régulateurs font donc le contraire de ce qu’il faut pour ces espèces.

Réguler du gibier d'élevage?

Le petit gibier sédentaire représente quant à lui 32 % des animaux tués en France selon la FNC : lapins, lièvres, perdrix, pigeons, faisans… Là encore ces espèces sont loin de proliférer et d’être un danger pour nos campagnes et, ce, à tel point que ces animaux sont avant tout des animaux d’élevage, élevés, lâchés pour être tués. Cette vérité est connue mais son ampleur l’est moins comme le montrait un article La chasse nuit à la biodiversité: «« 20 millions d’animaux sont élevés chaque année pour la chasse, c’est autant que les cochons pour la viande », indique Pierre Rigaux, qui précise qu’une partie sont exportés. Le Syndicat national des producteurs de gibier de chasse a dénombré quelque 1500 élevages d’où sont issus 14 millions de faisans, 5 millions de perdrix grises et rouges, 1 million de canards colverts, 100.000 lapins de garenne, 40.000 lièvres, 10.000 cerfs et 7.000 daims. En tout, un tiers des 30 millions d’animaux tués chaque année seraient issus d’élevages». Parmi ces espèces élevées, principalement du petit gibier sédentaire, ces 32% des prises annuelles, qui ne devraient donc pas être chassées puisqu'on les produit pour les chasser, ce qui n'est pas de la régulation.

Un grand gibier en expansion pour des raisons complexes

Nous voila donc avec 69% des animaux tués par les chasseurs, plus des deux tiers, qui n’ont rien à voir avec la régulation, soit avec des populations fragiles, vulnérables ou protégées, soit avec des populations sortant d’élevage… Le faux-nez du chasseur régulateur en prend un coup mais il reste encore 31% des prises selon la FNC qui sont du grand gibier et souvent l’argument central des chasseurs : cerfs, chevreuils, sangliers… Ces populations sont en effet en progression. Les raisons de celle-ci sont complexes : réchauffement climatique qui favorise les fruits forestiers (faînes, glands et châtaignes) dont ils se nourrissent et qui donne des saisons plus longues permettant une deuxième mise bas annuelle, absence de prédateurs naturels pour les adultes… Certaines viennent aussi des chasseurs eux-mêmes. Pendant les années 1970, la raréfaction du petit gibier de plaine en raison de la surchasse a poussé les chasseurs à se tourner vers ces grands animaux, auparavant peu présents et peu chassés. Il s’en est suivi une stratégie de développement de ces gibiers, principalement des sangliers: élevés et relâchés, agrainés et nourris dans la nature. 

Le cerf, l'ONF et la forêt.

Parmi ces 3 espèces, les cerfs et chevreuils posent moins de problèmes à l'agriculture mais gênent la politique de l'ONF qui veut une production "industrielle" et très rentable de bois dans nos forêts. Or cerfs et chevreuils adorent manger les jeunes, pousses, bourgeons et écorces tendres. Dans une forêt normale c'est utile et cela permet de limiter le nombre de jeunes plants qui se développent et évite d'assombrir ou d'encombrer le sous-bois. Dans des parcelles plantées pour produire du bois, c'est problématique en terme de rentabilité puisqu'on veut que chaque plant donne un arbre abattu 20 ans plus tard pour être vendu. Toutefois on peut se poser ici la question essentielle de quelle forêt voulons-nous car il est vrai que les ongulés sont génants dans des parcelles de production de bois mais ne le sont pas dans une forêt normale constituée principalement de grands arbres hors de danger et de jeunes pousses surabondantes dont seules quelques unes ont vocation à donner des arbres. Enfin la répartition des cerfs est très irrégulière et une vraie régulation pourrait être de piéger les cervidés pour les déplacer aux endroits où ils sont peu nombreux puisque l'empreinte humaine sur le paysage empêche ces migrations qui se feraient naturellement sinon.

Le sanglier, bête noire de la régulation. 

Les sangliers peuvent, eux, poser des problèmes en agriculture car l'hiver, quand la forêt les nourrit moins, ils sortent dans les champs proches pour se nourrir de vers ou graines qu'ils fouissent dans le sol ravageant les parcelles. Reste que la régulation de cette espèce par les chasseurs est loin d’être évidente. En effet, les pratiques d'agrainage continuent, faites par les chasseurs pendant la période maigre. Le prétexte:  éviter que les sangliers aillent dans les cultures en les nourrissant ailleurs, on parle d'agrainage dissuasif. La conséquence réelle: un soutien de la population de sanglier qui n'est plus limitée par cette disette d'hiver et qui est en même temps favorisée en pleine période de rut (décembre février), car la disponibilité alimentaire au moment du rut est un facteur de fécondité d'une espèce animale. De même, les chasseurs ne jouent pas toujours pleinement leur rôle affiché de régulateurs. Ils procèdent souvent à des tirs sélectifs qui consistent à tirer les vieux mâles prestigieux et les jeunes plus tendres et savoureux. Or pour éviter une prolifération de l'espèce, ce sont les laies adultes qu'il faudrait tuer. Une laie c'est une ou deux portées de 6 marcassins par an alors que tuer des jeunes et des mâles ne change rien à la prolifération de l'espèce. Par ailleurs les chasseurs pensent par territoire de chasse et non par objectif global. Même s'ils sont censés réguler, ils préfèrent ne pas mettre en péril le sanglier sur leur territoire pour conserver ce plaisir du tir et la satisfaction de la chasse facile avec un gibier abondant, la gloire du tableau de chasse. Par ailleurs, ils ont bien compris que la bête noire, le sanglier, était la seule validation de leur rôle prétendu de régulateur : plus les effectifs de sangliers sont hauts, plus leurs dégâts sont visibles, plus la chasse reste validée par le fameux "bon sens" alors que l'examen actuel que nous faisons montre qu'il n'en est rien, puisque depuis que les chasseurs chassent le sanglier, ces populations ne cessent d'augmenter en grande partie de leur faute. S'il faut réguler les sangliers en l'absence de prédateurs, on peut se poser une question: est-il raisonnable de confier cette régulation aux chasseurs qui sont les alliés objectifs du sanglier puisque plus il y a de sangliers, plus la chasse semble légitime? D'autres pays on choisit d'autres solutions. En Allemagne, c'est l'armée qui est chargée de cette régulation dans des postes de tirs. On peut aussi développer le piégeage qui consiste à piéger les animaux là où ils font des dégâts avec des cages et ils sont ensuite exécutés. Rien n'oblige donc à choisir la solution française de la chasse qui ne marche pas puisqu'au bout de 40ans de régulation du sanglier par les chasseurs, les effectifs et les dégâts n'ont jamais été aussi importants.

Les nuisibles ou ESOD, des espèces "régulées" à réévaluer.

A côté du sanglier, les chasseurs "régulent" aussi les espèces "nuisibles". Ce caractère de nuisibilité ne signifie rien en écologie et même la législation française l'a supprimé en 2019 pour lui substituer celui d'ESOD, Espèces Susceptibles d'Occasionner des Dégâts. Parmi celles-ci, on trouvera le renard, les mustélidés (blaireau, belette, putois, fouine, martre...), les rats musquées et ragondins, les pies, corneilles noires, corbeaux freux, geais des chênes, étourneaux sansonnets mais ces listes sont changeantes et sont départementales en fonction des dégâts déclarés (voir arrêté). Ainsi le putois, espèce vulnérable et protégée en Europe a été heureusement sorti de cette liste au niveau national en juillet 2021. Certains départements ont aussi supprimé l'autorisation de destruction des renards car tous ces ESOD sont aussi des animaux dont il faut souvent revoir de manière scientifique l'impact. Le renard reste le meilleur exemple. Les chasseurs, par tirs, piégeages et déterrages en tuent entre 500000 et 600000 par an. Le prétexte du voleur de poules ne tient plus face au rôle fondamental qu'il joue comme prédateurs de rongeurs. Un renard peut manger 6000 rongeurs par an soit 20 par jour environ à l'heure où les pullulations de campagnols posent de nombreux problèmes. On en arrive donc à des contradictions aberrantes : pourquoi les chasseurs tuent-ils 500 000 renards par an qui auraient pu eux éviter 3 milliards de rongeurs? On se retrouve dans un cas où les pseudos régulateurs régulent de vrais régulateurs...

La régulation ou l'argument bidon pour le maintien de la chasse.

Il est le temps d'un petit bilan de cette fonction de régulation des chasseurs qui légitime leur existence et leur donne un fonction sociale. L'essentiel du gibier français, des 30 millions d'animaux tués annuellement, n'ont pas à être régulés. Entre les espèces en tension qui sont élevées pour être lâchées et tirées, les ESOD dont le statut est en réévaluation et les espèces vulnérables qui sont autorisées à la chasse en France et protégées partout, il ne reste véritablement que le sanglier au coeur de cette fonction de régulation. Or cette régulation du sanglier par les chasseurs est peu efficace, pour le moins, et pourrait être faite par d'autres moyens. La chasse du sanglier qui est majoritaire dans la communication de la FNC est en fait très minoritaire. Pour la saison 2019-2020, selon les chiffres du Chasseur français (qui n'est pas forcément anti-chasse), 809000 sangliers, 70 000 cerfs élaphes et 587000 chevreuils ont été «prélevés» sur 30 000 000 d’animaux tués par les chasseurs soit à peine 5%, avec seulement 2,7 % de sangliers. 

Toute la chasse française se justifie donc par moins de 3% du gibier français que les chasseurs sont censés réguler si l'on considère les sangliers seule espèce vraiment problématique. 97% des animaux tués par la chasse française chaque année le sont donc hors de toute fonction régulatrice voire contre une régulation saine qui consisterait à laisser des espèces vulnérables ou fragiles se redévelopper. Ce sont donc 97% des animaux tués en France qui ne le sont que pour le plaisir des chasseurs soit 29 millions d'animaux victimes de la chasse.

L'argument de la régulation n'est donc qu'un mensonge qui légitime la chasse, ses accidents, 29 millions d'animaux tués sans aucune nécessité et la plupart des espèces françaises mises en péril. Une chasse vraiment régulatrice ne concernerait aucun oiseau à part peut-être localement le pigeon ramier et une seule espèce principale : le sanglier. On est bien loin de ça et l'argument régulateur n'est donc  qu'un faux-nez que Willy Schraen, l'ancien président de la FNC, a enlevé quelques instants en public le 9 novembre 2021. Invité aux Grandes Gueules sur RMC, Willy Schraen a répondu à son interlocutrice  : «Tu penses qu’on est là pour réguler… Mais tu n’as pas compris qu’on prend du plaisir dans l’acte de chasse ? [Tuer], ça en fait partie. Tu crois qu’on va devenir les petites mains de la régulation […]. Moi mon métier c’est pas chasseur, j’en ai rien à foutre de réguler»...  


Ci-dessous une infographie sur la répartition du gibier sur l'année 2013-14 concernant uniquement la chasse au tir (manquent : chasse à courre, chasses traditionnelles et piégeages, vénerie sous terre, chasse au vol)

Les chasseurs champions de la ruralité?

Le nouvel argument de la FNC et des chasseurs, développé depuis quelques années, est la ruralité et sa défense. Les chasseurs représenteraient la ruralité, la campagne, son mode de vie, ses traditions, ses valeurs, face à la Ville, cette société sans valeur, si ce n'est une seule, l'incompréhension et le mépris de la ruralité. Bref une campagne avec des valeurs et un mode de vie qui demande à vivre face à une ville qui veut détruire ce mode de vie ancestral. Dans cette lutte inégale, la ruralité à ses champions pour la défendre, les chasseurs. On retrouve là dans cette opposition de la ville fausse et orgueilleuse à la campagne vertueuse et vraie, une vieille musique pétainiste sur le mode "La terre, elle, ne ment pas"(discours du 25/06/1940). Ces arguments pourraient prendre, déjà car les "idées" pétainistes sont à la mode malgré les crimes auxquels elles ont conduit, mais surtout en raison de l'état des campagnes qui pourrait les pousser à se jeter dans les bras de n'importe quel défenseur même faux. 

Un vrai malaise rural.
Les campagnes sont actuellement délaissées par les pouvoirs publics et en proie à de vrais problèmes. Soit ce sont des campagnes proches de ville que l'étalement urbain grignote à coup de routes, de zones commerciales et de lotissements (voir l'article sur La disparition des terres agricoles). Soit ce sont des campagnes profondes, selon les termes géographiques, qui sont abandonnées. La déprise des services publics à coup de fermeture d'écoles, de postes, de transports, de fermeture des commerces, de déserts médicaux... laissent ces populations rurales abandonnées de l''Etat, c'est-à-dire dans la France centralisée, abandonnées de Paris, de la ville. A côté de cet abandon, les populations rurales vivent aussi de nombreuses décisions législatives même les plus nécessaires comme des intrusions venues de la ville dans leur mode de vie. Quand on interdit par exemple un produit phytosanitaire en agriculture (ce qui est bien trop rare par ailleurs), pour l'agriculteur, c'est sa pratique, son travail qui est remis en cause par la loi, c'est-à-dire Paris et la ville, et, ce, même si cette interdiction est une bonne chose. Les ruraux sont donc délaissés par l'Etat-Paris-la ville qui ne semble là que pour lui imposer des changements. Tout cela contribue à un vrai malaise rural que cherchent à récupérer indûment la FNC et les chasseurs. 

Les chasseurs, représentants de la ruralité?
Cette question se pose en effet : les chasseurs sont-ils numériquement légitimes à représenter la ruralité, c'est-à-dire la population rurale, comme ils le prétendent? La France compte 33% de population rurale selon l'Insee, sur une population totale de 67000000, soit 22 110 000 ruraux. Or il y a en France, 1.03 millions de chasseurs en 2020 (chiffre FNC). Même si tous les chasseurs étaient ruraux, ils ne représenteraient que 4.65% des ruraux ce qui est plus que minoritaire. Par ailleurs malgré toutes les études présentées par la FNC pour prouver la représentativité des chasseurs, on ne trouve pas de chiffre indiquant quel pourcentage des chasseurs français sont ruraux. La seule étude approchante (FNC, BIPE, Rapport Final 2016.pdf p.68) dit simplement que 72% des groupes de chasse sont composés d'une majorité de ruraux ce qui ne permet pas d'affiner correctement le pourcentage précédent. En effet dans un groupe de chasse composé majoritairement de ruraux, il peut y avoir la moitié moins 1 d'urbains. Mais soyons gentils avec les chasseurs et disons que 72% des chasseurs sont ruraux ce qui est faux et exagéré en leur faveur. Sur les 1.03 millions de chasseurs, on a donc 740 000 chasseurs ruraux soit 3.34% de la population rurale qui chasse. Les chasseurs sont donc plus que minoritaires même dans la population rurale et n'ont donc aucune légitimité à représenter la ruralité et les campagnes qui sont pour 96% de la population des non chasseurs. 

La ruralité, une image volée et pervertie.
Malgré cette illégitimité numérique à représenter la ruralité, la FNC a inventé une image de la ruralité taillée pour les chasseurs ce qui leur permet de paraitre son champion. La ruralité des chasseurs serait celle d'un rapport "vrai"  à la nature, à l'animal et à sa mort qui s'opposerait à la vision de la ville qui ne connaitrait la nature et l'animal que sur le mode d'une sensiblerie aseptisée refusant sa mort. Cette vision d'un rapport rural à la mort animale n'est en fait que celui du chasseur : sa pratique est centrée sur la mise à mort et c'est le principal voire le seul moment où un chasseur rencontre l'animal, l'espace de quelques secondes. Ce qu'il voit et ce qu'il cherche dans l'animal c'est sa mort et c'est le contraire pour les autres ruraux. Parmi ceux-ci, les éleveurs, qui sont le plus en rapport avec les animaux, ont un rapport opposé à la mort animale. Aucun éleveur ne se réjouit de la mort de ses animaux même s'il l'accepte comme une nécessité professionnelle, il consacre d'ailleurs sa vie à la vie des animaux, alors que le chasseur fait de leur mort un loisir. Aucun éleveur ne verrait dans cette mort animale, un plaisir comme le disait Willy Schraen dans la citation ci-dessus ("Mais tu n’as pas compris qu’on prend du plaisir dans l’acte de chasse ? [Tuer], ça en fait partie". Cette image d'une ruralité ayant au centre de ses valeurs l'acceptation de la mort animale gratuite est donc totalement fausse mais en créant cette image taillée pour eux les chasseurs peuvent l'endosser et ainsi accaparer l'image de la ruralité. C'est là où voulaient en venir les chasseurs : s'ils sont la ruralité, toute contestation de la chasse est une contestation de la ruralité et de la campagne. C'est donc un mensonge sur lequel repose toute cette argumentation car la ruralité, ce ne sont pas les 4% de chasseurs qui y résident mais les 96 autres pourcents de non chasseurs qui vivent dans un rapport apaisé voire aimant à la nature et aux animaux.

La ruralité et le renouveau politique des chasseurs ou le mariage de la carpe et du lapin.
Pour s'opposer au développement en France de l'écologie que les chasseurs ont toujours vue comme leur bête noire, les chasseurs se sont organisés à partir de 1989 pour avoir une représentation politique avec la création de CPNT, Chasse, pêche, nature et tradition. Ce parti se développe relativement jusqu'aux années 2000 puis périclite avant de s'associer à l'UMP puis à LR. A partir de 2019, CPNT change de nom pour devenir "Le mouvement pour la ruralité" qui n'est plus qu'un satellite des Républicains. Cet échec politique s'accompagne d'un changement de stratégie : quitter le champ de l'élection politique vouée à l'échec quand on est si peu nombreux, pour celui d'un lobbying forcené pour la chasse et au nom plus acceptable de la ruralité.  
Ce renouveau politique des chasseurs par le lobbying vient d'une double élection de ceux qui sont devenus des alliés objectifs : l'arrivée à la tête de la FNC de Willy Schraen en 2016  et celle à la tête de la France d'Emmanuel Macron un an plus tard. Ce mariage de la carpe et du lapin repose sur cette idée que la ruralité c'est la chasse, idée développée par la FNC mais qui a trouvé grâce aux yeux d'Emmanuel Macron. Dès la campagne présidentielle, il est apparu à travers ses thèmes et son électorat comme le candidat puis le président des villes et de la modernité mondialisée, donc à l'opposé des campagnes. Pour contrer cette image et tenter de recoller à la campagne, il a courtisé les chasseurs et le premier d'entre eux. L'idée : tout cadeau fait aux chasseurs est une offrande faite à la ruralité, alors que concrètement sa politique ne fait qu'accélérer la déprise des campagnes. Alors, pour compenser l'abandon réel des des campagnes,  les cadeaux ont ruisselé (pour une fois) sur les chasseurs : allongement de période de chasse dérogatoire, maintien de chasse de nombreuses espèces d'oiseaux vulnérables, autorisation des réducteurs de son sur les carabines, division par deux du prix du permis de chasse, demande ancienne des chasseurs pour faire repartir le nombre d'adhérents à la hausse... 
Parmi ces cadeaux, ils ont obtenu la gestion adaptative des espèces, le Graal des chasseurs d'espèces fragiles : pour les espèces vulnérables, on n'interdit pas mais on autorise des chiffres de prélèvement en fonction des populations estimées de l'espèce. Ensuite ce sont les chasseurs eux-mêmes qui doivent déclarer leurs prises sans véritable conséquence s'ils ne le font pas. A ce titre l'article L425-18 est une merveille de rédaction juridique pour cacher dans une punition apparente une totale impunité : "Tout chasseur qui n'a pas transmis à la fédération départementale dont il est membre les données de prélèvements sur une espèce mentionnée au I, réalisés au cours d'une campagne cynégétique, ne peut prélever des spécimens de cette espèce lors de la campagne cynégétique en cours ni lors de la suivante. Tout chasseur qui réitère ce manquement au cours d'une des trois campagnes cynégétiques suivant le précédent manquement ne peut prélever des spécimens de cette espèce lors de cette campagne cynégétique ni lors des trois suivantes."Quand on sait l'absence totale de contrôle des chasseurs en action de chasse, on voit tout le ridicule de cette gestion adaptative qui n'est qu'un blanc seing pour tuer à tout va. On voit aussi à l'occasion l'impunité des chasseurs, dans la réalité, mais dans la loi-même.
Tous ces cadeaux reposent sur la proximité des chasseurs à l'Elysée : Thierry Coste, lobbyiste des chasseurs est conseiller ruralité d'E.Macron, un accord de 30 mesures a été signé entre Willy Schraen et François Patriat au nom de LREM pendant les législatives de 2017 (voir l'article très instructif sur France Culture). Par ailleurs, le président de la FNC reconnait les bienfaits du président de la République pour les chasseurs : "Macron a fait des choses pour la chasse qu'aucun président n'a fait" disait Willy Schraen le 1er novembre 2021. A l'inverse, il reconnait avoir soutenu le président lors de la crise des gilets jaunes : ""Si je n'avais pas stoppé tout de suite, ils étaient 500.000 sur les ronds-points (...). J'ai beaucoup parlé, beaucoup écrit, mes gars, ils étaient tous Gilets jaunes" (références dans cet article). Que penser de cette manipulation de ses troupes par le président des chasseurs? Les gilets jaunes étaient en effet nombreux dans la ruralité et dans ces territoires ruraux oubliés appelés diagonale du vide. Représenter la ruralité n'aurait-il pas été de soutenir ces revendications rurales au lieu de soutenir le président de la république contre ce mouvement en espérant d'autres cadeux à la chasse? Cet exemple montre bien que le champion de la ruralité n'est en fait que celui de la chasse et non d'une ruralité qu'il ne représente pas et dont il n'a cure.
Cette alliance de la carpe et du lapin se fait donc au profit des chasseurs qui sont pour le chef de l'état la ruralité et qu'il achète à coup de cadeaux, pensant s'acheter en même temps les campagnes. Mais cette alliance se fait au détriment de l'environnement bien sûr et au détriment des campagnes car ces cadeaux aux chasseurs remplacent toute action réelle pour les territoires ruraux, délaissés par le président de la République et muselés dans leurs revendications par son allié président des chasseurs qui a d'ailleurs appelé les chasseurs à voter pour E.Macron en 2022, fait hors-norme puisque jamais la FNC n'avait donné de consigne de vote officielle.

L'argument des chasseurs champion de la ruralité est donc totalement faux : les chasseurs ne sont pas la ruralité puisqu'ils sont au plus 4% de la population rurale. Les chasseurs et leurs représentants surfent au contraire sur le malaise rural pour capter les populations des campagnes, non pour les défendre, mais pouvoir obtenir des avantages pour eux-mêmes dans une alliance objective avec un pouvoir présidentiel qui délaisse les territoires ruraux mais veut en gagner le vote par des cadeaux aux chasseurs. 

Les campagnes otages des chasseurs

Cet accaparement idéologique de la ruralité par les chasseurs se traduit par un réel accaparement des campagnes et du territoire rural au détriment des animaux et des autres usagers. 
Cela se traduit parfois concrètement comme avec l'engrillagement des forêts françaises. Cela consiste à ce que de grands propriétaires enclosent complètement leur propriété forestière avec des grillages hauts de plus de deux mètres, enterrés en bas et souvent doublés de barbelés, bref infranchissables pour les animaux. Dedans on concentre le grand gibier, on l'élève et on le tue lors de grands week-ends de chasse où 100 voire 200 bêtes peuvent être tuées avant d'être enterrées et non consommées. En plus de l'aspect carnage déjà inacceptable, ces engrillagements posent des problèmes de territoires. Dans les Landes, le Sancerrois, la Picardie, les enclos de chasse se développent mais c'est en Sologne, cette immense forêt française que les grillages sont les plus présents : plus de 4000 km de grillages découpent cette forêt patrimoniale en parcelles fermées à la promenade et aux activités de tous mais aussi aux déplacements des animaux. En effet il faut totalement méconnaitre cerfs et sangliers pour les penser sédentaires. La vie des hardes de cervidés reposent sur les grands déplacements, la migration en fonction des saisons et des ressources, l'essaimage des mâles qui partent rejoindre d'autres hardes pour permettre un brassage génétique, ... Toute cette vie des animaux est empêchée par ces engrillagements qui coupent le continuum naturel et forestier alors que le reste de la société s'efforce depuis longtemps de maintenir ou de le restaurer par des passages à gibier au-dessus des autoroutes ou en laissant des trames vertes entre massifs forestiers. Les chasseurs s'accaparent donc la forêt et se retrouvent à l'opposé de la nature et de ce que fait le reste de la société pour, dans ce cas des enclos, un simple plaisir sadique de la tuerie... Un projet de loi contre ces enclos, déjà interdits en Wallonie, est porté par un député du Cher (interview ici).
A côté de cet accaparement matériel de la campagne, la chasse quotidienne accapare aussi la campagne au profit d'un petit nombre d'individus et au détriment de tous les autres. En zone rurale où je vis, le 3e dimanche de septembre c'est celui où l'on perd la campagne pendant 6 mois. Plus de sortie les jours de congés, plus de déplacements à vélo pour les enfants d'un hameau à l'autre par les chemins creux, chasse tous les dimanches, battues tous les samedis et parfois toute la semaine... La campagne est à eux. Les autres ne la voient plus que par dessus les haies de leur jardin et même dans les jardins il faut faire attention car les plombs volent, quand ce n'est pas un chien ou même un chasseur qui entre pour suivre une proie... Aucune distance de sécurité, ni respect d'un axe de tir. Les battues aux sangliers s'arrêtent à 50m des maisons quand les balles utilisées ont une portée de plus de 2km. A la campagne, on sent bien que les chasseurs considèrent être la ruralité et que la campagne est leur, et à personne d'autre. 
D'ailleurs les chasseurs entendent que cette campagne restent leur et défendent ce qu'ils considèrent comme leur territoire. Les panneaux "Chasse en cours Soyez vigilants" le montrent bien  : ils chassent, ils sont là et c'est aux autres de faire attention. Ces panneaux ont d'ailleurs souvent été remplacés par le plus politiquement correct "Chasse en cours Ensemble soyons vigilants" qui sembleraient dire que les chasseurs aussi doivent tenir compte des autres mais dans la pratique on en est loin. Hormis les panneaux posés sur les routes car imposés par la loi, rien sur les chemins de randonnée et si l'on croise un chasseur, c'est aux autres de changer de chemin et non à la chasse de s'interrombre pour le laisser passer. Parfois les chasseurs vont même jusqu'à chasser les autres usagers directement. Ici c'est une marcheuse braquée par un chasseur sur un chemin de randonnée dans une zone Natura 2000 interdite à la chasse. Ce sont aussi des kayaks criblés de plomb dans des gorges traversant cette même zone Natura 2000. Ailleurs ce sont des pièges à VTT posés en travers des routes et causant accidents et blessures. La justice a du mal à retrouver les auteurs de ces pièges (fils tendus, planches à clous) mais la seule condamnation posée à ce jour concernait un chasseur (article de Midi Libre). Tous les chasseurs ne se comportent pas comme cela et heureusement... mais certains vont encore plus loin.
Les agressions des chasseurs contre les personnes qui s'opposent à la chasse sont de plus en plus nombreuses comme l'explique un article de Reporterre : Intimidations et agressions. Quand les chasseurs font leur loi. Retirer ses terres de la chasse est un  droit trop peu souvent utilisé par les ruraux car ils craignent les représailles et souvent à raison comme le montre le cas de Nathalia Covillault dans cet article. Frappée et menacée par des chasseurs qui pénétraient sur ses terres transformées en refuge LPO, elle est ensuite attaquée quelques jours tard et son habitation forcée par ces mêmes chasseurs. L'article relève de nombreux exemples de cette pression quotidienne des chasseurs dans les campagnes. Il montre aussi les menaces que subissent ceux qui militent contre la chasse. Toutes exactions des chasseurs sont sous-estimées car personne ne porte plainte contre les chasseurs souvent par peur ou par lassitude de ces actes répétés. 
Cette agressivité est bien sûr le fait d'une minorité des chasseurs mais ces exactions même sous-évaluées sont en augmentation, une augmentation qui ne peut s'expliquer que par la communication offensive des instances de la chasse qui croit au fur et à mesure que le reste de la société leur conteste l'accaparement injuste de la campagne. Sur le site de la FNC, on ne parle que des menaces qui pèsent sur la chasse et les chasseurs et l'application pour signaler les problèmes de chasse ne permet de déclarer que les atteintes portées aux chasseurs (à voir ici). La FNC va encore plus loin à travers la proposition de son président Willy Schraen le 14/11/21 qui ose tout : alors que les accidents de chasse repartent à la hausse en 2020 et 21, alors que les exactions dénoncées ci-dessus sont légion, il pense que les fédérations de chasseurs ont «un rôle à jouer en matière de police de proximité » pour lutter « contre la délinquance rurale et environnementale ». Il liste ces actes de délinquance : "dépôts d’ordure illégaux, divagation des animaux domestiques, présence de véhicules motorisés dans la forêt à des endroits sensibles". Assez ironique quand chaque chasse bloque tous les chemins forestiers à coup de 4x4 et entraine la divagation des chiens dans la campagne et les hameaux. Inacceptable sur le fond puisqu'on vient de voir que la véritable délinquance rurale et environnementale ce sont les chasseurs eux-mêmes. L'idée est belle : faire que ce soit les instances de la chasse qui contrôlent les méfaits des chasseurs eux-mêmes mais aussi des autres... C'est un peu faire du hors-la-loi le shérif non? Ou plus précisément l'argument du mafieux sur son quartier : je te protège de tout sauf de moi qui contrôle ton territoire et qui sait où tu habites.

Alors on en fait quoi de la chasse? Pour ceux qui ne veulent pas tout lire...

C'est la question fondamentale que la FNC ne veut absolument pas que la société française se pose. Tous les arguments développés depuis des années par la FNC et que nous avons passés en revue, ne servent qu'à l'éviter : chasseurs-écologistes, régulation des espèces, représentation de la ruralité, police rurale... Toutes ces idées nombreuses et inventives, il faut le reconnaître, ne servent qu'à cela : donner une légitimité autre à la chasse que celle d'être seulement le loisir criticable d'un petit nombre de gens. Or aucun de ces arguments ne tient. Les chasseurs n'ont rien d'écologistes puisqu'une grande partie de leurs proies sont des espèces vulnérables. Les chasseurs ne régulent pas les espèces puisque les espèces animales doivent au contraire se développer face à l'effondrement de la biodiversité et non être prélevées. La seule espèce à réguler, le sanglier, l'est mal par les chasseurs et ne représente que 2.7% des bêtes abattues alors qu'elle légitime toutes les autres espèces abattues a contrario de ce qu'il faudrait pour leur bon développement. Enfin dans le canton de Genève où la chasse est interdite depuis 1974, le problème des sangliers n'est pas plus fort qu'en France et est géré par des garde-chasses. Quant aux chasseurs qui représenteraient la ruralité, c'est là aussi un faux-nez : ils sont moins de 4% des ruraux et leur vision d'une ruralité centrée sur la mort animale est à l'opposé des valeurs des autres ruraux dont ils empêchent la vie et les activités pendant 6 mois par an. 

La chasse n'est donc qu'un loisir sans autre légitimité, le loisir d'1,03 millions de français (chiffre FNC) sur 67 millions soit 1.5% de la population française. De nombreux loisirs ont moins de pratiquants que la chasse et ce n'est pas obligatoirement le nombre qui légitime un loisir. Toutefois la chasse n'est pas un loisir comme les autres car le comportement des chasseurs et le danger réel qu'ils représentent, gênent voire empêchent l'usage de la campagne et de la nature par les ruraux et par les autres usagers. 

C'est donc une question politique, celle du partage d'un espace publique. Dans tous les domaines, pour cette question de partage d'un espace, la loi suit le principe simple : "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" (Déclaration des droits de l'homme de 1789). Ce principe s'oppose donc à cette chasse qui prive le plus grand nombre d'un espace au profit d'un petit nombre. Exemple plus concret encore de partage d'un espace: la route. Dans ce cas, on écarte le danger : on interdit le loisir de celui qui voudrait rouler vite  car il présente des risques pour tous les autres. Dans le cas de l'espace rural et de la chasse, on fait le contraire. On accepte le loisir d'un petit nombre même s'il est dangereux et contraignant pour tous les autres.

Comme toute question politique, elle peut se régler de deux façons, par la force ou par la démocratie. Pour l'instant la question de la chasse et du partage de l'espace rural se règle par la force à travers le lobbying politique de la chasse comme nous l'avons vu. Ce lobbying doit éviter toute discussion sur la chasse c'est-à-dire tout début d'approche démocratique car il serait défavorable. En effet, les sondages des dernières années sont tous unanimes pour par exemple interdire la chasse le dimanche comme le montre l'image, mais aussi tout le week-end. Le sondage Ifop de novembre 2021 montrait que 69% des français sont pour l'interdiction de la chasse le week-end. Ce sondage montre d'ailleurs que les ruraux sont 63% à ne plus vouloir de chasse le week-end et qu'en cela ils sont loins de considérer les chasseurs comme leurs champions mais au contraire comme des empêcheurs de vivre paisiblement à la campagne. Autre apprentissage intéressant : cette volonté d'interdiction de la chasse le week-end est majoritaire quelques soient les opinions politiques des interrogés. Ainsi "90% des sympathisants Europe-Ecologie-Les Verts sont pour l'interdiction. On compte 80% de personnes favorables du PS, 70% de La France Insoumise, 56% des Républicains, 70% du Rassemblement National et 71% de LREM". La logique électorale et le jeu démocratique voudraient donc que tous les partis portent cette interdiction si ce n'était le lobbying forcené de la FNC. 

Il est donc impératif et juste de remettre la chasse à sa place en tenant compte simplement de la volonté de la population et des impératifs environnementaux. Interdire la chasse le week-end est demandé par la majorité, y compris rurale et quelques soient les opinions politiques. Cette mesure permettra simplement de rendre nature et campagne à 98.5% de la population qui s'en voit privée par le comportement dangereux ou menaçant d'1.5% de chasseurs. Interdire les autres chasses que celles des espèces en surnombre c'est-à-dire principalement voire uniquement le sanglier, car l'effondrement de la biodiversité est incompatible avec la chasse des autres gibiers qui sont des espèces fragiles soutenues par l'élevage ou des espèces vulnérables protégées partout. C'est à ces conditions que la chasse peut être un loisir que notre société accepte encore sans qu'il gêne la vie des populations et mette en péril la biodiversité. Sans ces conditions, notre société a le droit de refuser démocratiquement ce loisir puisqu'il pose un problème écologique, un problème de confiscation de l'espace publique et même de l'espace politique par son lobbying.

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