Panorama des syndicats agricoles entre crises et élections

Des élections agricoles en temps de crise

En janvier 2025 auront lieu les élections professionnelles agricoles qui pour les 6 prochaines années désigneront le syndicat agricole qui sera majoritaire c'est-à-dire contrôlera les chambres d'agriculture, guichet administratif unique des agriculteurs, représentera les agriculteurs dans les institutions (Safer, MSA, collectivités territoriales...), orientera l'agriculture localement par une fonction de conseil technique et de développement territorial mais aussi au niveau national par des échanges privilégiés avec le gouvernement... Bref une élection professionnelle centrale pour les agriculteurs mais aussi pour nous tous pour qui l'agriculture est la base de notre alimentation, de nos paysages, de notre environnement... 
Cette élection est d'autant plus importante que l'agriculture française subit une crise profonde que traduisent les manifestations répétées depuis l'automne 2023. Ces manifestations sont souvent présentées trop rapidement comme étant celle des agriculteurs ou des syndicats agricoles. Cela ne veut rien dire car il y a autant de diversité chez les agriculteurs français que dans leurs 3 syndicats représentatifs : FNSEA-JA, Coordination rurale et Confédération paysanne. Alors quelles sont les voies agricoles différentes proposées par ces 3 syndicats pour surmonter la crise agricole? 

le contexte d'une crise agricole multiple

Cette crise agricole est profonde parce que multiple et il est bon d'en voir les principaux aspects pour observer ensuite les propositions des différents syndicats. Il y a 4 crises principales qui touchent l'agriculture française: 

- Le premier aspect de cette crise, le plus connu, est la crise du revenu agricole car les agriculteurs ne décident pas de leur prix et peuvent même vendre à perte contrairement à tous les autres secteurs économiques. En conséquence, le revenu moyen des agriculteurs français est de 1860€ mensuels en 2023 selon l'Insee mais avec de très grandes inégalités: le revenu médian est de 20 700€ annuel et 1/4 des exploitations ont un revenu inférieur à 7200€ par an. Enfin 1 agriculteur sur 6 vit en dessous du seuil de pauvreté. Ces inégalités de revenus sont aussi accentuées par le secteur et la taille d'exploitation, allant de revenus très confortables pour les grands céréaliers à des situations très fragiles pour les petites exploitations de bovins et ovins. Cette crise du revenu agricole est une crise de la valeur des produits agricoles, instable et mondialisée, mais aussi de la répartition de la valeur dans la chaine agroalimentaire.

- L'autre crise agricole est une crise démographique : depuis 2000, c'est 1/3 des exploitations qui ont disparu et cela continue au rythme effreiné de 27 fermes par jour actuellement. 1/4 des agriculteurs ont plus de 60 ans et la moitié des agriculteurs français partiront à la retraite d'ici 2035. Leur départ à la retraite est bien souvent la fin de l'exploitation puisque le taux de reprise des exploitations n'est plus que de 70% (contre 90% dans les années 2010) montrant une vraie crise du métier mais aussi des problèmes liés à la transmission et à l'installation.

- Une autre crise agricole est souvent oubliée: c'est une crise de durabilité. Fondée sur la mécanisation, les engrais et pesticides, notre agriculture vit de ressources épuisables dont les prix sont croissants et donc problématiques pour les exploitations : c'est connu pour le pétrole, moins pour le gaz naturel qui sert à la production d'engrais, et encore moins pour le phosphore indispensable pour les engrais chimiques dont le pic d'extraction est prévu pour 2030 avec un épuisement de la ressource vers 2100 (réf.). Ce modèle agricole est par ailleurs peu soutenable en terme écologique pour les populations et les écosystèmes dont les premiers menacés sont les sols. Cette crise de durabilité est aussi liée au changement climatique que notre modèle agricole cause (18% des GES) mais dont il souffre aussi avec des aléas climatiques, des sécheresses et des problèmes d'eau, de nouveaux ravageurs et des pertes de rendement. 

- Enfin la crise profonde de l'agriculture liée à toutes les précédentes est une crise de sens, c'est-à-dire une crise de modèle. L'agriculture française a connu deux modèles simples que les agriculteurs pouvaient suivre ou rejeter mais qui étaient lisibles. Jusqu'aux années 1970, l'agriculture devait nourrir la France et pour cela faire sa révolution "verte" à base de remembrement, mécanisation, modernisation, développement de la chimie... A la fin des années 1970, l'agriculture française s'est donnée un nouveau but dans la mondialisation : nourrir le monde, exporter tout en continuant à grandir et se "moderniser" pour être toujours plus compétitive sur le marché mondial aidé par de plus en plus de subventions à l'export (ce qui en même temps faisaient baisser la valeur intrinsèque des productions agricoles). Ces deux modèles productivistes ont été remis en cause depuis les années 1990 par la prise de conscience écologique liée à de nombreuses crises sanitaires et/ou environnementales : crise de la vache folle, marées vertes bretonnes et nitrates, victimes des pesticides dans la population comme chez les agriculteurs, question du bien-être animal, question de la biodiversité, question des sols, problème d'eau entre sécheresse et inondations... L'agriculture a ainsi quitté le simple enjeu économique de production pour devenir un enjeu de société qui ne concerne plus seulement les agriculteurs mais la société toute entière. Les agriculteurs se retrouvent ainsi un peu dépossédés voire mis en cause pour leurs pratiques : ceux qui nourrissent sont aussi vus comme ceux qui empoisonnent, ceux qui élèvent les animaux comme ceux qui les violentent, ceux qui cultivent le vivant comme ceux qui le détruisent et le polluent... Ces visions contradictoires sont liées à des injonctions contradictoires : on leur demande de produire toujours plus pour toujours moins cher pour l'export ou pour une industrie agroalimentaire qui invisibilise leur produit et prend leur travail et leur revenu, on leur demande de la qualité mais sans le prix, on leur demande une agriculture saine et écologique mais sans rien mettre en oeuvre pour que cela soit possible ni valorisé... Bref les modèles s'empilent, se contredisent et tout cela dans le travail quotidien de la ferme et sur leurs bureaux où chaque injonction contradictoire se traduit par des démarches administratives. La perte de sens est donc bien la crise fondamentale de l'agriculture actuelle : comment faire un métier aussi dur et mal payé quand à chaque moment on se demande ce qu'est vraiment au fond son métier. Enfin cette question du sens est encore plus forte que dans d'autres métiers car être agriculteur engage non seulement sa professsion mais tout son mode de vie qui est alors aussi mis en question par cette perte de sens.

Un panorama syndical nécessaire. méthode et avertissement

C'est dans ce contexte que les élections syndicales prennent un sens car les principaux syndicats agricoles français n'ont pas les mêmes réponses à ces crises de l'agriculture et diffèrent par leurs buts, leurs actions et même leurs visions de l'agriculture. Tous  peuvent s'accorder sur le problème de revenu ou l'opposition au Mercosur mais leurs analyses et leurs réponses sont très différentes.
Méthode
Alors partons à la découverte des 3 grandes voies du syndicalisme agricole français. Pour chacun, nous verrons sa vision de l'agriculture, ses réponses aux différents aspects de la crise agricole et ses formes d'action très souvent révélatrices. L'exemple de l'opposition au Mercosur, le traité de libre-échange avec l'Amérique du sud, permettra de voir qu'une opposition commune repose sur des visions agricoles différentes notamment en terme de souveraineté alimentaire, mot si à la mode mais tellement variable dans l'usage.
Avertissement.
Par ailleurs, il va de soi que caractériser ces visions syndicales c'est les figer en partant de ce que pensent, font et décident leurs directions, de ce que montrent leurs revendications et leurs actions... Toutefois les agriculteurs qui votent ou militent pour ces syndicats sont plus divers, plus nuancés et complexes que leur direction syndicale et les critiques portées à ces syndicats ne le sont pas à leurs militants de base. En effet les motifs de syndicalisation dans l'une ou l'autre des organisations sont nombreux souvent liés aux lieux, aux rencontres, à la famille, aux amitiés, bref aux aléas de la vie et du métier, et on continue avec le syndicat parce que le quitter c'est compliqué. Il n'est donc pas question de jeter la pierre aux militants de ces différents syndicats qui font l'effort de s'engager pour défendre leur profession pourtant déjà si prenante, il est juste question d'éclairer sur les positions des différentes centrales syndicales : Confédération paysanne, Coordination rurale et FNSEA-JA. Le 4e syndicat le MODEF est représentatif localement mais peu au niveau national et ses positions sont proches de la Confédération paysanne.

La Confédération paysanne, un autre modèle agricole est possible... et nécessaire

Ce titre montre dès le début le soutien apporté à ce syndicat mais il n'y a rien d'anormal à cela car l'agriculture prônée par la Conf correspond au modèle défendu par les AMAP, celui du maintien d'une agriculture paysanne, biologique, locale et juste. Reste à savoir ce qui fait de ce syndicat et de son modèle le bon...

Historique : créer une alternative agricole
En 1986, 2 petits syndicats paysans manifestent ensemble lors d'un discours du ministre de l'Agriculture et ex-dirigeant de la FNSEA, François Guillaume. S'ensuit la volonté de créer un syndicat opposé au seul syndicat reconnu de l'époque, la FNSEA-JA, qui cogère, avec l'Etat, l'agriculture française dans un modèle productiviste. Ils organisent alors des assises paysannes dans toute la France qui réunissent 15000 paysans et aboutissent en 1987 à la création de la Confédération paysanne. La Conf devient alors le syndicat d'opposition à la FNSEA-JA (jusqu'en 1992) et à son modèle productiviste. Aux élections professionnelles agricoles de 1989 elle obtient 18.6% et devient le seul syndicat agricole représentatif (>15%) à part la FNSEA-JA. Elle se fait ensuite connaître au cours des années 1990-2000 par des actions symboliques, son engagement dans les luttes contre les traités de libre-échange ou le démontage du MacDo de Millau pour protester contre la malbouffe. José Bové devient par la suite secrétaire général de la Conf en 2000 faisant ainsi connaitre la Conf au delà du monde agricole. En 2001, la Conf obtient 26.8% des suffrages aux élections agricoles, son meilleur score, avant de s'établir aux élections suivantes aux alentours de 20%. La lutte contre les OGM avec les Faucheurs volontaires, contre les hormones bovines suite à la crise de la vache folle ou contre les pesticides continue de faire connaitre la différence de ce syndicat qui, par rapport aux autres, porte les enjeux sanitaires et environnementaux, ce que prolonge aujourd'hui sa lutte contre les méga-bassines au nom du refus de l'appropriation des ressources et de l'idée de bien commun.

Vision de l'agriculture : pour une agriculture paysanne
Pour la Conf, il faut une agriculture paysanne, c'est-à-dire des paysans nombreux et solidaires dans des exploitations de taille raisonnable qui puissent vivre de leur travail et y trouver du sens : ils doivent produire pour nourrir la société, c'est-à-dire produire une nourriture saine de manière respectueuse de l'environnement, des ressources dont le sol, des paysages et du bien-être animal. Cela doit permettre une agriculture humaine, écologique, vivable, qui permet la souveraineté alimentaire, c'est-à-dire la capacité de maîtriser son alimentation, et qui fait vivre les campagnes dans un lien entre paysans, et entre paysans et population. Pour cela, il faut une agriculture qui vise plus d'autonomie sur la ferme en limitant les facteurs de dépendance (intrants, emprunts trop lourds) et il faut gérer les volumes de production pour que chacun puisse travailler avec des prix rémunérateurs. Enfin l'agriculture n'est pas qu'un travail isolé de production sur la ferme : elle doit être pensée par rapport aux enjeux de la société (local, national, global) car l'agriculture est une question de société qui irrigue et donne du sens au travail de la ferme dans une logique local-global.  

Crise du revenu : reprendre la main sur le revenu paysan.
La Conf pense que le paysan doit redevenir un acteur économique alors qu'il est aujourd'hui dépendant dans la chaîne agroalimentaire, coincé entre ses fournisseurs d'intrants en amont et en aval des circuits longs de transformation/distribution. Amont et aval fixent les prix des produits dans une agriculture mondialisée et captent l'essentiel de la valeur. Retrouver un revenu paysan passe donc par : 
En amont, avoir le plus d'autonomie sur la ferme pour limiter les intrants (semences, alimentation, énergies, engrais et phytosanitaires...) et limiter les investissements trop importants.
En aval, éviter les circuits longs et les intermédiaires pour les circuits les plus courts possibles et garder ainsi la valeur pour la ferme. 
En ce qui concerne la fixation des prix, elle ne doit pas être laissée à un marché mondial dérégulé et les prix agricoles ne doivent pas dépendre du marché mondial puisqu'on doit nourrir localement : 
- il faut une régulation des marchés qui passe par un partage des volumes de production. Ce partage doit être arbitré par les pouvoirs publics pour garantir des prix et permettre à tous de vivre.
- il faut interdire la vente à perte, en fixant un prix minimum qui est celui du prix de revient de l'agriculteur en tenant compte du prix de son travail.
Il faut penser aussi le paiement des services écosystémiques rendus par une agriculture paysanne. Par ailleurs il faut repenser les subventions qui doivent rémunérer le travail (subventions par actif) et non la taille, le capital (subvention par hectare).

Crise démographique : transmettre et installer des paysans. 
Pour la Conf, il est primordial de mettre fin à la tendance actuelle lors d'un départ à la retraite : au lieu de proposer la ferme à la reprise, elle est vendue à un autre agriculteur pour de l'agrandissement voire même à des entreprises foncières pour faire de l'agriculture de firme.
La course à l'agrandissement pose d'ailleurs un vrai problème pour la transmission et la reprise : le poids financier (prix de l'exploitation et l'endettement lié) et la charge de travail deviennent trop importants empêchant les transmissions comme les installations. Le modèle d'une agriculture paysanne avec des fermes de taille humaine et autonome est une solution pour permettre l'installation individuelle ou collective de paysans selon l'adage "mieux vaut installer un copain qu'agrandir son terrain". Le désir de la Conf est de revenir à 1 000 000 de paysans, chiffre des années 1990, pour permettre une souveraineté alimentaire et une revivification des campagnes, deux enjeux politiques qui impliquent de réelles aides de la part de l'Etat pour la transmission et l'installation et un soutien sans condition de taille minimum.

Crise de durabilité : un syndicat agricole et écologiste, parce que ça va ensemble, normalement...
La Conf est le seul syndicat qui promeut une agriculture écologique comme l'ont montré ses luttes (OGM, Hormones, pesticides, méga-bassines, artificialisation des terres...), qui pense que l'agriculture doit tendre toute entière vers l'agriculture biologique et qui demande une sortie collective des pesticides. Elle promeut des modes d'agriculture durable comme l'agroécologie par exemple qui permettent de ne pas contribuer aux crises climatiques  et de biodiversité et qui permettent en même temps à la ferme d'être résiliente par rapport aux conséquences de ces crises. En cela l'agriculture paysanne n'est pas passéiste mais en lien avec les enjeux actuels et qu'elle travaille par une vraie recherche agronomique à la ferme, au lieu d'une recherche purement technologique et subie. Pour la Conf, écologie et agriculture sont indissociablement liées car le vivant est le bien commun que l'agriculture travaille pour la société.

Crise de sens : des paysans autonomes et solidaires, en lien avec le vivant et ceux qu'ils nourrissent.
Tout est dans le titre et propose un modèle d'une agriculture paysanne vivante qui donne du sens au métier, de l'amont où l'on prend soin du vivant, à l'aval où l'on embellit les paysages où l'on vit, où l'on nourrit des populations que l'on connaît et où on peut nourrir sa famille de son travail.

Souveraineté alimentaire et opposition au Mercosur.
La conf est bien entendue opposée au traité avec le Mercosur mais ce qui la différencie des autres syndicats agricoles c'est qu'elle a toujours été opposée au libre-échange en terme agricole. Pour elle, l'agriculture doit nourrir localement et faire ses prix localement selon l'idée d'exception agriculturelle développée dès l'Uruguay Round des années 1990 qui préparait les accords du GATT pour que tous les prix des produits agricoles soient mondiaux. Elle s'est ensuite opposée à tous les accords bilatéraux qui ont suivi dont le dernier est le Mercosur. L'autre raison d'opposition est sa vision altermondialiste : un accord de libre-échange n'est pas mauvais uniquement parce qu'il empêche ici les paysans de vivre bien mais aussi parce qu'il permet à l'agriculture française d'exporter ailleurs et d'empêcher ailleurs les paysans de vivre bien. C'est une différence fondamentale avec les autres syndicats agricoles. Elle tient à l'idée de souveraineté alimentaire que la Conf, à travers la Via campesina dont elle est membre, a défini lors du sommet de la FAO à Rome en 1996 : la souveraineté alimentaire est le droit pour les personnes qui produisent et consomment de la nourriture de contrôler la production et la distribution de celle-ci. C'est donc le droit politique des paysans et des citoyens à être maître de leur alimentation et de leur agriculture. 

Actions et manifestations dans la crise actuelle (manifestations hiver 2023-2024 et novembre 2024)
Pour la Conf, les manifestations sont des moyens d'information de la population sur les enjeux agricoles et non de simples protestations ou de rapport de force. Ainsi les actions dans les supermarchés visent à montrer concrètement aux citoyens leur dépendance en triant par exemple les produits de Lactalys qui exploitent les éleveurs laitiers français. D'autres actions peuvent être ciblées contre un responsable comme dans le cas où la Conf a envahi les locaux de Lactalys pour être reçue ou les manifestations devant la commission européenne lors des discussions sur les nouveaux OGM. La Conf participe aussi aux grands mouvements écologistes comme à Notre-Dame des Landes, Sivens, Sainte-Soline car elle défend un projet de société...
Dans la crise de l'hiver 2023-2024, la Conf a montré sa différence avec les autres syndicats agricoles. Le mouvement a éclaté sur le GNR avec la Coordination rurale puis s'est étendu à la contestation du plan écophyto, moment où la FNSEA-JA est entrée dans l'action. C'est dans un 3e temps que les questions du revenu agricole et des normes administratives se sont imposées et la Conf a alors manifesté elle aussi sur ces 2 derniers mots d'ordre uniquement. Quand le gouvernement a accordé les revendications sur le GNR et la fin du plan écophyto, ainsi que de nombreux reculs environnementaux, CR et FNSEA-JA ont arrêté de manifester sans que rien ne soit fait sur le revenu à part l'engagement de l'application d'une loi déjà existante (quelle victoire) alors que la Conf a continué. Par ailleurs, quand FNSEA-JA et Coordo s'en prenaient aux agences de l'eau, à l'Inrae ou à l'Anses, la Conf manifestait en soutien à l'Agence de l'eau de Rouen attaquée 15 jours avant par la FNSEA-JA, montrant ainsi que que ceux qui veillent à la qualité de nos cours d'eau ne sont pas les ennemis des paysans mais ceux des syndicats agricoles anti-écologistes que nous allons voir maintenant. 

La Coordination Rurale, Rugir dans nos campagnes mais après?

La Coordination rurale est comme le veut ce titre un grondement dans les campagnes françaises, tonitruant et brutal, très visible à travers ses bonnets jaunes et ses actions violentes, mais cette violence désespérée ne fait pas obligatoirement un modèle agricole. Alors y-a-t'il un réel modèle agricole face à la crise derrière ce rugissement?

Historique : une colère qui monte
La Coordination rurale est née en 2 moments à partir de fin 1991. Au départ, des acteurs du monde agricole dénoncent la nouvelle politique agricole commune de 1992 (qui passe d'un soutien des prix agricoles à un soutien aux agriculteurs par des primes) et la position de la FNSEA-JA qui accepte cette nouvelle PAC. Cette dénonciation se transforme en une association qui regroupe des acteurs du monde agricole de tous bords, syndicalistes de la confédération paysanne, du MODEF ou dissidents de la FNSEA-JA, non syndiqués et autres... Ce mouvement "Tous contre la PAC 1992" selon le mot d'ordre s'illustre par 2 manifestations voulant bloquer Paris en 92 contre la PAC et en 93 contre le GATT.
En 1995, la Coordination rurale veut se présenter aux élections professionnelles agricoles contre la cogestion de la FNSEA-JA et devient donc un syndicat agricole, ce qui entraine la fin de l'association et le départ des acteurs pluralistes historiques issus de la Conf ou du Modef. La Coordo se présente aux élections en 1995, remporte 12% des voix en 2001 puis s'établit aux alentours de 20% devenant le 2e syndicat agricole. Son bastion est le Lot-et-Garonne dont elle tient la chambre depuis 2001 avec une forte présence dans le sud-ouest, gagnant Vienne et Haute-Vienne en 2019. Son action syndicale se manifeste depuis 1995 par une radicalisation des actions violentes et d'un discours dénonçant l'écologie, ce qui le rapproche de son ennemi originel, la FNSEA-JA et qui l'oppose à la Conf, alors que ces deux syndicats avaient pu s'allier dans la dénonciation du libre-échange et pour prendre la chambre du Puy de Dôme (2013-19).

Vision de l'agriculture. 
"100% agriculteurs" "Foutez-nous la paix Laissez-nous travailler" "Rendre l'agriculture aux agriculteurs" : Les slogans de la Coordo sont percutants mais quelle vision de l'agriculture porte-t-il? Seulement une vision de l'agriculteur au centre de tout. L'agriculteur par son travail dur nourrit la France qui lui doit reconnaissance (prix) et protection (de la concurrence étrangère) et surtout doit le laisser libre de travailler comme il veut, sans contrôle de l'Etat, sans norme, sans compte à rendre et sans écologie ni contrainte... Son lien à la Terre, qu'il cultive car il est agri-culteur (pas paysan, pas exploitant agricole) fait qu'il sait lui seul comment bien produire. Cette vision de l'agriculteur repose sur un lien indéfectible, primal, sacré entre la Terre de France et l'agriculteur car l'agriculteur pour la Coordo "n'est pas un travailleur comme les autres, l'agriculteur, c'est la France. Il est l'homme premier, le socle de la civilisation, les pieds dans la terre" selon Édouard Lynch, historien du syndicalisme agricole. 
La Coordo porte donc une idéologie agrarienne qui accorde une valeur supérieure à ceux qui cultivent la terre où l'on retrouve les vieilles idées d'une campagne avec des valeurs morales supérieures, en opposition à la ville et à ceux qui dirigent depuis la ville (d'où le terme rurale dans son nom). C'est pourquoi la Coordo refuse les normes et contrôles de ceux qui depuis la ville dirigent, qu'elle refuse aussi tout discours écologique vu comme un dogme imposé par la ville qui ne connait rien de la terre, à ceux qui savent intimement quoi faire de la terre. En cela, la Coordo se montre anti-étatique, anti-écologique et anti-scientifique. C'est aussi une idéologie nationaliste dans son lien à la terre de France ce que montrent les drapeaux français qui flottent à chaque manifestation : l'agriculteur français cultive la Terre de France et nul autre n'a le droit de nourrir la France. Enfin, sa culture est viriliste : elle met en avant la force, qualité présentée comme première pour affronter le travail de la Terre. Cette force se traduit dans les mots comme dans les actes lors des manifestations par de la violence et de la brutalité présentées comme une expression normale de la colère des "gars", des "bonhommes". 
D'où vient cette colère? Selon François Purseigle, la Coordo veut "affirmer l'identité d'un groupe social menacé et devenu minoritaire". La colère vient de ce que ce monde rural et agricole idéalisé est menacé et le sentiment que la France est injuste avec ses agriculteurs et les laisse mourrir sans rien faire. On retrouve cela dans les termes de génocide paysan et plus encore d'agricide développés par la Coordo ou par le mot d'ordre "Nous nous battons pour maintenir notre civilisation" présent dès les luttes des années 1990. Ce discours de maintien d'une civilisation, lié à l'agrarisme, au nationalisme et au virilisme rapprochent la Coordo des valeurs d'extrême-droite pour qui 62% des sympathisants de la CR avaient l'intention de voter aux élections législatives de juin 2024 selon une enquête du CEVIPOF. C’est d’autant plus étonnant que les votes des eurodéputés RN laissent faire les accords de libre-échange et sont pour la PAC  (voir infographie), à l'opposé des positions de la Coordo qui semble se faire avoir par le RN.
La vision de l'agriculteur portée par la CR a en elle une vraie contradiction autour de la notion de protectionnisme. Pour la Coordo, la France doit protéger ses agriculteurs qui la nourrissent ce qui passerait normalement par un protectionnisme, un refus du libre-échange. Toutefois la Coordo est plus ambigüe sur ce thème : elle refuse l'importation de produits étrangers moins chers pour protéger les revenus des agriculteurs français mais ne voit aucun problème à l'exportation de leurs produits dans les autres pays même avec des subventions et quitte à nuire aux agriculteurs là-bas. Certains secteurs agricoles doivent continuer à surproduire en prenant comme débouché naturel l'export. Ce premier "deux poids deux meures" pose problème, sa justification aussi. En effet, la Coordo veut prioriser les productions françaises car elles sont meilleures en terme sanitaire, social et écologique. Mais qu'est-ce qui fait la qualité réelle de la production française? Les normes mises en place par l'Etat en terme sanitaire, sociale et écologique et qui sont garanties par les contrôles de l'Etat. Or ce sont toutes ces normes et ces contrôles que la Coordination rurale refuse paradoxalement (au point même de voir Serge Bousquet-Cassagne, grande figure de la Coordo et président CR de la chambre agricole du Lot-et-Garonne, refuser de condamner en 2004 un agriculteur ayant abattu deux inspecteurs du travail en contrôle sur sa ferme). Il y donc une contradiction profonde dans le discours de la Coordo : refuser les produits étrangers moins bons, en refusant en même temps tout contrôle et toute norme qui permettent et garantissent la qualité des produits français. Il ne leur reste alors plus comme valeur que d'être français ce qui n'est ni une valeur agronomique, ni écologique, ni sanitaire, sans les normes et contrôles.
C'est donc une contradiction intenable sur laquelle repose la position de la Coordination rurale entre un refus des produits étrangers inférieurs et un refus des normes sanitaires et écologiques, refus qui abaisserait la production française au niveau des autres pays. On retrouve cette même contradiction entre protectionnisme et anti-étatisme, entre un état qui devrait les protéger mais sans avoir le droit de rien exiger d'eux ni de leur production quant aux enjeux de la société. Ce modèle est donc impossible et conduirait à une impasse de l'agriculture française. D'ailleurs la faiblesse de son modèle fait que la Coordo est avant tout un syndicat protestataire : on sait à quoi elle s'oppose, ce qui la met en colère, ce qu'elle dénonce. Elle est avant tout une liste d'anti : anti-écologie, anti-état, anti-libre-échange, anti-norme, anti-contrôle, anti-ville, anti-FNSEA et anti-Conf...
L'impasse de son modèle agricole, conjugué à ses valeurs et au sentiment d'être les représentants d'un groupe social menacé alors qu'il était pour eux le socle de la France, font que la Coordination rurale est avant tout, face aux crises agricoles, l'expression d'une colère brutale qui rugit dans nos campagnes.

Crise du revenu : un modèle contradictoire entre protectionnisme extérieur et libéralisme intérieur.
La position de la Coordo sur la question des revenus se limite au fait de vouloir que l'agriculteur ait un revenu décent venant de son travail, de la vente de sa production et non pas, dans le discours, de subvention. Dans la réalité, bien sûr, les subventions sont les bienvenues mais la Coordo les veut sans conditions, sans dossier de demande, sans normes à respecter. L'inconditionnalité de ses subventions est liée à la qualité intrinsèque de l'agriculteur français comme nous l'avons déjà vu. Ce discours anti-subvention'est un héritage de la contestation de la PAC 92 comme le désir d'une gestion des volumes sur les marchés pour garantir les prix. Cette gestion des volumes  du marché français est avant tout une fermeture aux importations. Ce n'est pas un marché intérieur régulé par l'Etat avec un partage des volumes à produire comme pour la Conf, car la Coordo reste libérale sur le marché intérieur où la concurrence est vue comme positive. Elle est par contre protectionniste par rapport à l'extérieur. Encore une contradiction. De même la Coordo reste attachée au modèle des circuits longs mais un modèle qui laisserait la décision aux agriculteurs dans la fixation des prix. 
La Coordo n'a donc pas un modèle fort et pensé pour améliorer le revenu paysan : le système de rémunération deviendra pour elle correct simplement par la fin de la concurrence étrangère et la reconnaissance de l'agriculteur.

Crise démographique : des mots forts, des solutions faibles.
La Coordo critique depuis longtemps "l'agricide" et la "désagriculturation"de la France selon ses propres néologismes. Toutefois lorsqu'on parcourt ses revendications il n'y a pas vraiment de projet face à la crise démographique pour assurer la reprise massive des exploitations au cours des prochaines années. Elle veut simplifier la DJA (Dotation Jeunes agriculteurs) pour moins de contraintes et réactiver le crédit transmission qui existait et permettait un paiement différé de l'exploitation par le reprenant et un abaissement d'impot sur la vente pour le cédant. Pour le reste, ses objectifs principaux restent la clé de tout : fin de la concurrence étrangère et meilleur revenu, fin des normes et des contraintes écologiques permettront d'inciter à la reprise des fermes.

Crise de durabilité : l'irresponsabilité dangereuse d'un syndicat anti-écologique.
Pour la Coordination rurale, il n'y a pas de crise de durabilité de l'agriculture et pas de crise environnementale liée à l'agriculture. Dans ses revendications même, on peut lire sur le changement climatique une position notoirement climatosceptique voire climatodénialiste et donc anti-scientifique : "Prétendre que l’agriculture contribue au « réchauffement » climatique n’a guère de sens, avec une quantification des rejets de N2O aussi imprécise, l’urgence étant à l’amélioration des techniques de quantification des émissions agricoles de gaz à effet de serre. Dès lors, comment prétendre que le secteur agricole français représente 21 % des émissions françaises totales (43 % de ces émissions étant constituées de N2O) ?" (voir Art. Climat des Revendications) Pas d'origine humaine et encore moins agricole du changement climatique selon la Coordo et contre toute la production scientifique. 
Dans tous les domaines de l'environnement, une seule maxime, pas de normes, pas de contraintes, pas de contrôle au nom de l'écologie car "Un agriculteur responsable ne tire aucun bénéfice à employer des méthodes de production hautement polluantes" donc pas besoin de le contrôler, il sait ce qu'il fait et les écologistes et les scientifiques de la ville ne savent rien. 
Pour la Coordo, pas de problème de pesticides, ni même pour la santé des agriculteurs, leurs premières victimes, puisque les pesticides n'existent pas : elle les appelle des PPP Produits phytopharmaceutiques, même plus phytosanitaires, ils sont carrément devenus des médicaments... Dans ses revendications, la Coordo ne se penche pas sur la limitation des pesticides mais sur la limitation de leur interdiction : elle veut "stopper les décisions d’interdiction des produits phytosanitaires sans études spécifiques préalables, incluant une étude économique fiable et une étude sur la dangerosité des solutions de substitution". Il faut donc avant d'interdire un pesticide surtout vérifier que cela ne pose pas de problème économique aux agriculteurs et vérifier les solutions de substitution. Toujours par rapport aux pesticides, l'entrée Abeilles est carrément indigne : elle nie la responsabilité des pesticides, les abeilles mourraient de stress, ne propose rien pour les abeilles mais défend les néonicotinoïdes au titre que même si des études prouvent leur nocivité, "sur le terrain, nombreux sont les apiculteurs disposant leurs ruches à proximité de cultures traitées par enrobage de semences sans observer de mortalité particulière". Un bel argument « au doigt mouillé » caractéristique des antiscientifiques...
Cette absence de prise de conscience de la crise de durabilité de l'agriculture est particulièrement criante sur le point de la gestion de l'eau. Cela tient à l'implantation de la Coordo dans le sud-ouest avec son bastion du Lot-et-Garonne où la maïsiculture est très présente et très irriguée. Ce lien CR-maïs est très fort alors que c'est une culture destinée à l'export qui ne sert en rien à nourrir les français et qui vit de subvention sans lesquelles le maïs n'est pas rentable, loin des promesses de la CR. Or, avec le changement climatique, l'irrigation est problématique et la Coordo participe à tous les projets de barrage, retenues et mégabassines qui visent à privatiser l'eau et menacent la ressource. La CR était déjà présente à Sivens partisane du barrage qui a coûté la vie à Rémi Fraisse en 2015 et la CR faisait partie de ceux qui ont attaqué les militants écologistes. Suite à l'abandon de ce projet néfaste, la CR47 a construit illégalement en 2018-19 la retenue de Caussade, condamnée par la justice en 2020. La CR est aussi partie prenante dans la construction des méga-bassines qu'elle défend ardemment et de manière violente allant jusqu'à agresser l'ex-secrétaire de la Conf Nicolas Girod pour son opposition aux mégabassines.
Lorsqu'on regarde les revendications de la CR présentée sous forme de glossaire, chaque entrée liée à l'environnement se déroule de la même façon : négation des réalités scientifiques et minimisation du problème, puis suspension de tout effort agricole au fait que l'on interdise avant les importations. Cette réponse automatique semble la réponse à tout alors que leurs revendications dans le domaine environnemental et sanitaire conduiraient l'agriculture française à une qualité au moins aussi mauvaise que les productions étrangères.
Cette position anti-écologiste et anti-scientifique se retourne contre les agriculteurs eux-mêmes. Dans l'entrée Maladies professionnelles, on peut lire : "s’il est vrai que certaines maladies sont liées à la profession d’agriculteur, même s’ils sont suspectés, il n’est pas encore prouvé que les PPP (pesticides) en soient responsables", alors que science et justice ont établi le contraire. Pour la Coordo, on continue à utiliser les pesticides qui tuent les agriculteurs et sa seule revendication sont des indemnisations. En terme global, le problème des ressources de l'agriculture (fossiles, phosphate...) est impensé puisque la CR reste un syndicat productiviste comme la FNSEA-JA ce qui conduit les agriculteurs dans une impasse financière avec l'augmentation du prix des intrants.
Si l’on tient compte de la faiblesse et de l’ambiguïté des autres points du modèle de la Coordo, comme on l’a vu, l’anti-écologisme reste le seul point saillant de son modèle, ce qui est plus que préoccupant.

Crise de sens : une colère pour toute réponse
Anti-étatique contre les normes mais pro-étatique contre la concurrence étrangère, anti-importation mais pro-exportation, libérale et productiviste à l’intérieur mais réclamant un maintien des prix, proclamant une qualité de production mais anti-norme et anti-écologie pour les garantir, la Coordination rurale ne propose pas un modèle agricole clair ou possible, porteur de sens. Sa vision de l’agriculteur comme un socle de la France que celle-ci aurait injustement trahie ne donne pas non plus de sens au métier mais seulement une rancœur et une colère désespérée, celle d’être les derniers représentants d’une civilisation qui disparaît. Là encore, en ne proposant pas de vision ou de modèle positif, la CR ne fait que participer à cette disparition contre laquelle elle ne propose qu’une colère. Toutefois cette colère est une manière de se sentir vivant pour ceux qui se sentent disparaître. Les manifestations sont aussi une expérience du collectif absent de la vie de ces agriculteurs, seuls sur leurs exploitations ou dans des campagnes délaissées. Malgré cela une colère ne peut suffire à donner du sens.

Souveraineté alimentaire et Mercosur.
La Coordo s'oppose au Mercosur car elle ne veut pas d'importations concurrençant la production française et baissant les cours. Toutefois nous avons vu que paradoxalement elle veut bien des exportations françaises à l'étranger quitte à bouleverser les marchés locaux. Elle appuie son refus du Mercosur sur l’exception agriculturelle : l’agriculture n’est pas un secteur économique comme les autres et doit être sortie des accords de libre-échange. Cette idée est tout à fait juste, partagée avec la Conf et développée en 1993 quand la CR était encore une association pluraliste et non le syndicat actuel. Toutefois la CR n'y associe pas la même idée de souveraineté alimentaire que la Conf. Rappelons que la souveraineté alimentaire est le droit politique des paysans et des citoyens à être maître de leur alimentation et de leur agriculture. Pour la CR, ce n'est pas le cas, la production agricole est l'objet des producteurs et les citoyens en tant que consommateurs et décideurs de leur société n'ont pas voix au chapitre : ils n'ont pas le droit d'avoir des normes sanitaires et écologiques pour encadrer l'agriculture en terme sanitaires et écologiques, ni même de contrôler l'agriculture. Pour la CR, la souveraineté alimentaire concerne les agriculteurs et s'approche plus de la notion d'autonomie : l'agriculture française doit seule produire la nourriture française. Elle entend ainsi se garantir un pré carré, mais n'a pas de scrupule aux exportations même subventionnées ce qui est contraire à l'idée de souveraineté alimentaire. Toutefois cette autonomie est un leurre car par son modèle productiviste a besoin d'engrais, de pesticides, de machines, d'alimention animale, tous ces intrants non produits en France et qui viennent de l'étranger. Son agriculture est donc dépendante, ce qui fait qu'il n'y a en finale ni autonomie, ni souveraineté alimentaires possibles avec le modéle de la CR.  

Actions et manifestations dans la crise actuelle (manifestations hiver 2023-2024 et novembre 2024)
La Coordination rurale tend à cacher la faiblesse de son modèle garicole face aux crises actuelles derrière la force de sa colère selon l'adage qu'un discours creux doit sonner fort, et elle y réussit très bien avec un grand sens du spectacle. Lors de l'hiver 2023-24 et en novembre 24, les actions de la CR se sont portées contre les préfectures avec les mêmes modes d'action violents que ceux de la FNSEA-JA : lisiers, feux de pneus, fumiers, toutes ces méthodes d'actions sans aucun sens autre qu'une expression de violence. 
Au dela de ces représentants classiques de l'Etat, ce sont des organismes publics que la CR vise, menace et/ou saccage. Les bureaux locaux de l'OFB sont une de leur cible préférée pour montrer leur rejet des contrôles que cet organisme assure. La CR a fait 40 actions en 1 an : à Guéret en novembre 23, à Dijon le 30/01/24, dans le Gers ou les bureaux ont été cadenassés avec des menaces écrites. La présidente de la CR a déclaré cet organisme inutile et l'accuse d'harceler les agriculteurs de contrôle alors que l'on doit rappeler qu'en 2023, ce sont seulement 10% des exploitations qui ont eu 1 contrôle, ce qui est à l'inverse notoirement insuffisant. Dans le même genre, les agences de l'eau sont aussi des cibles de la CR et en janvier 2024, c'est un sanglier éventré qui a été pendu devant l'inspection du travail à Agen. Bref, la CR s'en prend à tous les organismes qui sont là pour veiller à la santé et à l'environnement des citoyens...
Elle s'en prend aussi aux associations écologistes comme France Nature Environnement et chose nouvelle dans le syndicalisme agricole, s'attaque directement à un autre syndicat agricole, la Confédération paysanne, car elle défend une agriculture écologique. Après l'aggression de son sécrétaire national et d'un autre membre au salon de l'agriculture, elle a aussi déversé du fumier devant le congrès national de la Conf.
Car la Coordination aime la violence pas seulement symbolique, elle aime aussi la violence réelle contre les personnes par la menace et l'intimidation. Le dirigeant de la CR 32 a directement menacé de détruire les locaux de la Conf du Gers ainsi que la ferme d'une de ses représentantes qui a porté plainte. (Sur ces faits, voir). 

Ces agissements sont bien entendus inacceptables et montrent des comportements que ni la colère, ni le désespoir ne peuvent excuser surtout de la part d'un syndicat qui ne propose aucun modèle agricole réel et qui ne fait que vivre de la colère d'agriculteurs eux désespérés, retrouvant ainsi un vrai point commun avec la FNSEA-JA.

FNSEA-JA, entre mythe de l'unité, cogestion et réelle duplicité.

L'alliance FNSEA-JA contrôle et oriente l'agriculture française depuis la fin de la Seconde guerre mondiale ce qui est une situation plus qu'ambigüe pour celle qui manifeste en même temps contre la politique agricole française. Alors creusons un peu le jeu de dupe de ce syndicat qui derrière le mythe de l'unité paysanne fait montre d'une réelle duplicité et pousse la majorité des agriculteurs vers leur disparition.

Historique : Mythe de l'unité, cogestion et duplicité, productivisme libéral, l'histoire lourde d'un syndicat hégémonique.
La FNSEA est née en 1946 au sein de la CGA, Confédération générale agricole. La CGA avait été créée par les résistants pour mettre fin à la Corporation paysanne du régime de Vichy, organisme unique représentant l'agriculture. Avec la disparition de la Corporation vichyste, les responsables agricoles compromis avec Vichy investissent la FNSEA comme René Blondelle, ancien dirigeant régional de la Corporation vichyste qui devient le premier secrétaire général de la FNSEA en 1946. 
Face au déclin de la CGA, la FNSEA devient le syndicat agricole français prétendant représenter tous les agriculteurs français, malgré leur diversité. C'est donc dès le départ ce mythe de l'unité qui se met en place : tous les agriculteurs sont unis dans leurs revendications que portent la FNSEA. Ce mythe, qui est un héritage de la Corporation vichyste, est bien sûr faux car les agriculteurs français, tant à l'époque que maintenant, sont très divers et ont des problématiques différentes. De plus les positions de la FNSEA sont loin d'être favorables à tous les agriculteurs. Ainsi dès le congrès de 1949, la FNSEA décide d'orienter l'agriculture et les moyens financiers vers la spécialisation des exploitations et tournent le dos à la polyculture-élevage qui est de très loin le modèle le plus répandu à l'époque mettant de côté la majorité des paysans français. C'est un premier acte de duplicité : se dire le représentant de tous les agriculteurs pour ne défendre les intérêts que d'un petit nombre en orientant l'agriculture. La même année, on voit aussi apparaître le principe de cogestion : la FNSEA obtient du ministre de l'agriculture de rétablir les prérogatives des chambres d'agriculture ce qui permet à la FNSEA de bénéficier par leur intermédiaire d'un financement public important et d'un pouvoir de décison sur l'agriculture et l'espace rural. Dans le contexte du rationnement de l'immédiat après-guerre, priorité est donnée à une agriculture productiviste qui veut se spécialiser, se moderniser et produire au moindre prix dans une optique libérale sans maîtrise des marchés. Dès le début, mythe de l'unité, cogestion et duplicité se mettent en place pour permettre à la FNSEA de contrôler et d'orienter l'agriculture française vers son modèle d'agriculture productiviste.
Avec les années 1950, arrivent déjà la surproduction et la chute des prix et la FNSEA oriente son modèle vers l'exportation avec l'idée de nourrir l'Europe mais surtout de continuer le productivisme. Cela entraine des remises en cause.  En 1953 le Comité de Guéret au sein de la FNSEA déplore déjà que l'élevage est le laisser pour compte du syndicat. En 1956, le CNJA, Centre national des jeunes agriculteurs (qui deviendra JA en 2002), devient autonome de la FNSEA dont il faisait partie. Les deux syndicats vont évoluer sur les mêmes positions et ensemble, les JA servant d'antichambre à la FNSEA pour les moins de 38 ans comme le montre une comparaison rapide des dirigeants des 2 syndicats. Depuis 1956, 5 des 10 dirigeants de la FNSEA étaient auparavant dirigeant des JA (Michel Debatisse, François Guillaume, Luc Guyau, Jean-Michel Lemétayer et Christiane Lambert). En 1959, un premier syndicat agricole apparaît contre la FNSEA-JA, le MODEF (Mouvement de défense des exploitants familiaux qui défend l'agriculture familiale et la polyculture-élevage).
La France Gaullienne des années 1960 puis sous les présidents de droite qui lui succèdent est un véritable âge d'or pour la FNSEA qui cogère avec l'Etat, voire gère à travers l'Etat, l'agriculture française, principalement au profit des céréaliers d'Ile de France qui ont pris le pouvoir à la FNSEA à la fin des années 1950 à travers la commission économique, organe décisionnel du syndicat. Les dirigeants de la FNSEA décident avec les ministres de l'Agriculture, quand ils ne le sont pas eux-mêmes comme Michel Debatisse (secrétaire d’État aux Industries agricoles et alimentaires du gouvernement Raymond Barre) ou François Guillaume (Ministre de l’Agriculture du gouvernement Chirac de 1986 à 1988). 
La FNSEA a alors mis en place sa vision de l'agriculture : productiviste, industrielle et exportatrice. Cette modernisation est menée à marche forcée par les JA et repose sur des piliers : spécialisation et agrandissement des exploitations en culture comme en élevage, remembrement des campagnes, mécanisation et développement de la chimie, intégration de l'agriculture dans une filière agro-alimentaire longue. Le remembrement dont l'histoire commence seulement à être faite (voir) révèle bien les pratiques de la FNSEA-JA. Commencé avant la Seconde Guerre mondiale, il s'accélère après et trouve son apogée au cours des années 1960 où 500 000ha sont remembrés chaque année. L'Etat et la FNSEA s'appuient pour le faire sur une loi de Vichy de 1941 qui permet un remembrement forcé. Pour qu'un remembrement soit mis en place dans une commune, il suffit que quelques agriculteurs de la commune le demandent. Il est alors imposé par le préfet à tous les membres de la commune, parfois de manière violente. Les terres sont alors réarrangées pour des parcelles plus grandes, regroupées par des échanges et arrasées avec une suppression des haies, arbres, vergers compris. Le but est d'aboutir à de grandes parcelles d'open-field pour la mécanisation. Toutefois ce réarrangement des terres est fait sous couvert des chambres d'agriculture tenues par la FNSEA qui l'organisent au profit de ses membres. C'est donc un immense mouvement de transformation forcée de l'agriculture : mise en place d'un modèle unique d'open-field mécanisé contre une France alors majoritairement de paysans en polyculture élevage qui n'a rien à faire de ses grandes parcelles nues. Ce remembrement fait partie de l'industrialisation de la société selon Inès Léraud : "la mécanisation de l'agriculture devait permettre aux agriculteurs d'exploiter de plus grandes surfaces avec moins de travailleurs, libérant ainsi une main d'œuvre conséquente pour les usines. Des centaines de milliers d’exploitations agricoles disparaissent. Le nombre de paysans et de salariés agricoles passe de 7 millions en 1946 à 3,8 millions en 1962. C’est le plus grand « plan social » qu’a connu la France. En 1961, les paysans sans ferme composent 70% des effectifs ouvriers de l’usine Citroën, construite à Rennes un an auparavant. Une politique de transfert de main-d’œuvre savamment orchestrée…» Par qui? Par l'Etat et la FNSEA dont on voit ici apparaître un trait particulier : son désir de concentration de l'agriculture aux profits de quelques grands exploitants qui fait d'elle le seul syndicat qui travaille à la disparition de ses membres. 
Son modèle productiviste avec la concentration des élevages et des cultures et l'utilisation de la chimie montrent sa nocivité dès la décennie suivante avec la première marée verte bretonne en 1971. C'est la première d'une longue liste de ces phénomènes causés par l'élevage porcin breton qui par ses nitrates et phosphates entrainent des proliférations d'algues. Ces marées vertes nuisent à l'environnement et au tourisme breton, leur récolte est une charge pour les contribuables bretons et elles ont tué des animaux et au moins 3 personnes, 2 joggueurs et un employé chargé de leur récolte. Malgré cela peu de choses ont été faites contre le modèle agricole fautif ce qui s'explique encore une fois par l'emprise de la FNSEA sur les structures politiques surtout dans cette région d'agriculture intensive. Le cas de Thierry Coué, actuel patron de la FNSEA en Bretagne, est parlant. Il est membre de toutes les instances chargées d'encadrer l'agriculture en terme sanitaire et environnemental : l'Anses (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), le CESE (Conseil économique social et environnemental), le Conseil national de l’air (sur la pollution de l'air), le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, le Conseil national de la Transition écologique et, cerise sur le gâteau d'algues vertes, le Comité régional nitrate chargé du dossier. Il cumule toutes ces fonctions de surveillance environnementale alors qu'il est-lui même à la tête d'une porcherie industrielle, administrateur d'Evel'Up, la 2e coopérative de porcs française qui regroupe près de 700 éleveurs de l'ouest de la France, et président du CAR, Conseil de l'agriculture régionale environnement, un organisme de lobbying productiviste (voir l'article). Jusqu'en 2022, il était aussi président de Terra le journal gratuit distribué aux agriculteurs par la chambre d'agriculture, un organe de presse bien utile pour désinformer les premiers intéressés sur les algues vertes. Il représente ainsi un cas d'école du pouvoir de la FNSEA qui par un entrisme forcené empêche toute remise en cause de son modèle même quand, dans le cas présent, il est mortifère au sens propre.
Depuis les années 1980 et jusqu'à aujourd'hui, la FNSEA-JA reste sur son modèle en l'adaptant et en le renforçant. Avec la mondialisation, elle donne à l'agriculture française la mission de nourrir le monde et pour cela pousse toutes les négociations visant au libre-échange en matière agricole au profit de certaines filières laissant les prix d'autres s'effondrer et ces filières disparaitre. Elle accompagne la PAC92 mettant fin à la régulation des marchés car elle préfére les subventions à l'export ou les aides PAC tant qu'elles sont à l'hectare et favorisent les grosses exploitations, mettant ainsi toutes les petites exploitations à genoux. Elle s'oppose par contre aux évolutions de la PAC pour des subventions à l'actif ou aux plus-values environnementales. Cette opposition à toute mesure écologique est devenue son axe principal puisque son modèle productiviste a conduit l'agriculture française à une impasse écologique et sanitaire dont toutes les problématiques sont les enfants de la FNSEA-JA :  crise de la vache folle, marées vertes bretonnes et nitrates, victimes des pesticides dans la population comme chez les agriculteurs, question du bien-être animal, question de la biodiversité, question des sols, problème d'eau entre sécheresse et inondations...
Le passé de la FNSEA-JA est donc avant tout un passif selon la formule. Cogérant l'agriculture française avec l'Etat depuis la Seconde guerre mondiale, elle l'a menée dans le mur pour les agriculteurs, les citoyens et l'environnement avec son modèle d'agriculture productiviste, mondialisée et libérale. Elle l'a fait en s'appuyant sur le mythe de l'unité, parlant au nom de tous les agriculteurs selon elle, mais ne représentant en fait que les intérêts d'une minorité, les gros exploitants agricoles qui la dirigent, et condamnant en même temps tous les autres agriculteurs sur lesquels elle n'a de cesse de s'appuyer dès qu'elle a besoin de faire pression par des manifestations. C'est donc ainsi cette duplicité qui est la véritable marque de fabrique de ce syndicat hégémonique et productiviste. 

Vision de l'agriculture : un exploitant productiviste et capitaliste
L'historique de la FNSEA-JA a fait apparaître son modèle agricole. Au centre, un grand exploitant agricole voué au productivisme qui est l'idée fondamentale dont tout découle : produire toujours plus. C'est un exploitant agricole : pas un paysan, il n'a rien à voir au pays ni au paysage car le pays est vidé de ses paysans et le paysage massacré, entre openfield géants et ateliers de production démesurés. Pas un agri-culteur non plus, car son rapport à la terre est très distendu : en grandes cultures, il ravage le sol à base d'intrants chimiques et se contenterait aussi bien d'un substrat comme dans les serres de production intensive, lesquelles sont aussi hors-sol que son modèle d'élevage dans des fermes industrielles. Ce technicisme forcené est pour lui la clé et se prolonge aujourd'hui avec les OGM et la smart agriculture. Pour cela, il faut des capitaux car pour lui l'agriculture ne se fait pas avec du travail, du vivant et du sol mais avec du capital : il faut des investissements toujours plus grands car l'exploitant agricole fait vivre toute une industrie agroalimentaire qu'il se doit de contrôler. Ceux qui en sont dépendants disparaissent mais cela correspond à cette logique libérale. Dans cette vision, le vivant est une contrainte et l'écologie un obstacle à son productivisme. Ce productivisme libéral s'accompagne bien sûr d'un libre-échange forcené car l'exploitant agricole doit nourrir le monde. Cette vision de l'agriculture et de l'agriculteur s'incarne tout à fait dans les dirigeants de la FNSEA comme anciennement Xavier Beulin ou actuellement Arnaud Rousseau. Celui-ci est à la tête de 700ha de grandes cultures en Ile-de-France (protéagineux, céréales et betteraves) principalement destinées à l'export et cette concentration des terres se retrouvent dans celle, politique et économique, de 22 mandats différents (voir infographie) qui font de lui plus un capitaine d'industries qu'un agriculteur. 

Crise du revenu : crédo libéral, revenu inégal.
Ce modèle très libéral qui concentre terre et revenu dans les mains de certains grands exploitants agricoles fait la ruine et la détresse de tous les autres. C'est pourquoi la question du revenu agricole n'est jamais au coeur de la FNSEA même si elle est constamment dans les têtes des agriculteurs qui manifestent pour elle. En janvier 2024, la FNSEA-JA est sortie des manifestations dès la remise en cause du plan écophyto sans rien avoir obtenu sur le revenu que l'assurance d'appliquer la loi égalim déjà existante. 
Par ailleurs c'est le seul syndicat agricole qui a refusé de participer à la lettre commune des 3 autres syndicats demandant des prix planchers en agriculture pour assurer le revenu. Ce refus d'un prix plancher tient à sa doctrine libérale : le marché doit faire les prix. Pourquoi? Parce que des prix faibles permettent d'exporter et d'écraser des marchés. Parce que des prix très faibles sont accessibles aux très grandes exploitations et ruinent les autres dont la faillité libère terres et parts de marché. Enfin parce que dans sa vision d'une agriculture industrielle et intégrée, l'agriculture n'a pas pour rôle de nourrir les français mais de nourrir l'économie française et surtout son agro-industrie comme le montre l'organigramme de la société Avril dirigée par Arnaud Rousseau. Des céréaliers coincés entre semenciers, banquiers, vendeurs d'intrants et de matériel en amont et des collecteurs de graines en aval. Des éleveurs coincés entre des vendeurs de protéines  en amont et des agro-industries de transformation et des distributeurs en aval. 
Pour la FNSEA-JA, le revenu agricole ne se fait pas par un soutien des prix ou une régulation du marché, pas non plus par un partage de la valeur ou une recherche d'indépendance et de valeur dans des circuits plus courts. Pour avoir un revenu agricole, il faut juste produire plus dans des exploitations plus grandes et plus intensives grâce à toujours plus d'investissements. Pour les dirigeants de la FNSEA-JA ça marche, mais pas pour les milliers d'agriculteurs qui la soutiennent et qui en meurent.

Crise démographique : une opportunité  pour l'agriculture de firme et la disparition des paysans
La crise démographique à venir, 50% des agriculteurs partant à la retraite sous dix ans et un taux de reprise de plus en plus faible, n'est que la suite du grand-oeuvre de la FNSEA-JA depuis 1946. Rappelons qu'en 1946 il y avait 7 millions de travailleurs agricoles et seulement 1.3 millions selon la MSA en 2024. De même des 2.3 millions d'exploitations en 1955, il n'en reste plus que 421 000 aujourd'hui. Diviser le nombre de travailleurs agricoles par 5 et le nombre d'exploitations par 6 : voila le résultat de la politique de la FNSEA-JA qui a tout fait pour concentrer les terres dans de grandes exploitations, qui n'a pas soutenu le revenu agricole conduisant à des faillites et à l'abandon du métier. En même temps, la taille des exploitations n'a cessé de grandir en surface, en capital, en nombre de bêtes. Cet agrandissement a été géré par la FNSEA via les chambres agricoles et les SAFER en orientant les exploitations sans repreneur vers une reprise par des exploitants déjà installés pour s'agrandir au lieu d'installer de nouveaux agriculteurs. 
A l'heure actuelle, on atteint des tailles parfois critiques et donc des questions se posent avec le nombre d'exploitations qui vont être à reprendre dans les années à venir. Par ailleurs la loi tend à vouloir limiter la taille des fermes. La réponse de la FNSEA à ce double problème ne consiste pas en des installations mais elle promeut au contraire l'agriculture de firme. On concentre des terres mais juridiquement leur propriétaire n'est pas une personne physique mais une personne morale, une SCEA, société civile d'exploitation agricole. La SCEA est divisée en parts appartenant à des sociétaires même non agriculteurs ce qui permet d'avoir de grands capitaux et/ou de contourner la loi de limitation des exploitations. On peut même diviser l'exploitation en plusieurs SCEA (par secteurs géographique ou d'activité) et le véritable exploitant prend des parts dans chacune. Le montage peut encore se complexifier en créant une holding qui possède et gère les SCEA mais ce n'est plus alors une personne qui possède toute l'exploitation mais une entreprise, ce qui est permis. Arnaud Rousseau le dirigeant de la FNSEA "teste" personnellement cette solution. Il est le gérant de la holding Spondeo qui détient la SCEA du Haut Pays, la SCEA du Moulin à vent, la SCEA de la ferme du Ru, la SCEA ferme Saint-Laurent(art.). Ce bel exemple d'agriculture de firme montre la solution de la FNSEA face à la crise démographique : ce n'est pas une crise pour elle mais une aubaine qu'il faut juste anticiper dans ce grand-oeuvre de concentration des terres et de disparition des paysans.

Crise de durabilité : technosolutionisme, inconscience, irresponsabilité et anti-écologisme.
Le modèle productiviste et techniciste de la FNSEA-JA ne pense pas cette crise de durabilité. Pour elle, la technologie, le technosolutionisme est la clé sous le nom de smart agrcilture. On ne supprime pas les pesticides mais on utilise les Produits phytosanitaires et les engrais avec des épandeurs guidés par IA et par satellite... Hypocrisie complète car l'utilisation de pesticides explose malgré le plan Ecophyto qu'elle a tellement combattu. C'est d'ailleurs dès sa levée que la FNSEA-JA est sortie des manifestations en janvier 2024 obligeant sa base qui se battait pour les revenus à rentrer bredouille dans les fermes. 
Face au changement climatique, on développe des logiques assurantielles que ne peuvent se permettre que les grands. Face aux problèmes de ressources, on essaie de se sécuriser à grand renfort de capitaux comme avec les mégabassines si chères à la FNSEA-JA qui s'approprient un bien commun entre grands exploitants pour produire du maïs d'export. Face à la crise de durabilité, un seul mot d'ordre de la FNSEA : l'inconscience.
Face aux crises écologiques et sanitaires causées par son modèle, sa seule action est de peser de tout son poids politique et communicationnel pour étouffer les choses et éviter toute remise en cause. Un bon exemple est encore le problème de pollution des rivières : les agriculteurs sont responsables de la qualité des cours d'eau qui traversent leurs exploitations et ces cours d'eau peuvent être analysés. C'est bien contraignant pour la FNSEA-JA qui a trouvé une solution : supprimer les cours d'eau. L'idée est simple : en redéfinissant la notion de cours d'eau avec les services de l'état, elle a fait déclasser 30% des rivières françaises, tous ces petits rus ou ruisseaux qui font nos grandes rivières. Ils ne sont plus des cours d'eau mais des fossés ou ravines avec pour conséquence qu'ils ne sont plus protégés et que les agriculteurs peuvent en faire ce qu'ils veulent. 
Comme la meilleure défense est l'attaque, la FNSEA-JA fait de l'écologie son ennemi et jette l'écologie en pâture à ses troupes, à sa base qui la conspue dans un élan commun avec la Coordination rurale. Plus grave encore elle a obtenu du gouvernement la création de la cellule Déméter en 2019, une cellule de gendarmerie chargée de protéger les exploitations, les méga-bassines, de lutter contre l'agribashing (un mythe bien pratique de la FNSEA), bref lutter contre tous les mouvements écologistes qui s'opposeraient à la FNSEA-JA, faisant de la gendarmerie nationale les nervis de ce syndicat hégémonique. En 2022 le tribunal de administratif de Paris a exigé du gouvernement que la cellule mette fin à la "prévention des actions de nature idéologique", autrement dit ce n'est pas à la gendarmerie de prévenir les actions de ceux qui s'opposeraient au modèle productiviste de la FNSEA.

Crise de sens : 
En proposant un modèle unique de grand exploitant agricole productiviste et capitaliste, intégré à l'agro-industrie, la FNSEA-JA ne propose pas de remède à la crise de sens. Pour ceux qui vivent ce modèle, pas de crise de sens, la réussite économique et financière, l'ivresse que ressent cette élite agricole à devenir de grands capitalistes et à s'extraire de la condition agricole et de la terre : tout cela donne un sens à leur travail même s'il n'est plus vraiment agricole. Mais ils ne sont que quelques uns.
Pour tous les autres, ce modèle n'a aucun sens. Intégré dans une chaîne de production agro-alimentaire, l'exploitant agricole n'est pas maître de son travail, n'en voit plus les finalités alimentaires, vit mal ce productivisme qui l'épuise et épuise sa terre, se noie dans les emprunts d'investissement et d'agrandissement dans un non sens économique d'un capital toujours plus grand sans avoir de revenu. Il ne travaille plus pour nourrir ou pour s'occuper des champs ou des bêtes mais pour payer les traites d'emprunts qui s'enchainent. Une vie perdue, même pas à la gagner, alors que la plupart rêvaient enfant de ce métier. C'est de là que vient la colère juste des militants de base de la FNSEA-JA dont le seul tort est de ne pas se retourner contre leur syndicat qui travaille à leur perte.

Souveraineté alimentaire et Mercosur : amour du libre-échange et pudeur électoraliste.
Jusque là nous avons vu la FNSEA-JA toujours favorable au libre-échange puisque elle veut une agriculture exportatrice, ce qui fait qu'elle a toujours été pour tous les accords de libre-échange qu'elle a poussé et négocié au niveau européen. Toutefois, depuis le CETA et encore pour le MERCOSUR, la FNSEA-JA semble avoir changé d'avis : elle se dit contre ces deux traités. C'est principalement une opposition de façade (voir art.) d'une direction qui sent que sa base militante qui souffre du libre-échange supporterait difficilement une position ouvertement pro-traité, surtout lors d'une année électorale. On est dans le tactique, pas dans l'idéologique.
D'ailleurs son argument contre le Mercosur n'est pas contre le libre-échange mais contre l'absence de clauses miroirs dans ce traité qui imposeraient une réciprocité de normes sociales et environnementales. Ce qui gêne la FNSEA c'est qu'on l'embête avec des normes et qu'on ne les impose pas à des importations, avec derrière son rêve secret : plus de normes ni ici ni ailleurs pour produire à fond toujours plus et toujours plus mal...
Cet amour du libre-échange, un instant caché par une pudeur électoraliste, est lié à une autre vision de la souveraineté alimentaire. Bien sûr il ne s'agit pas de la vraie définition : du droit des peuples à être maître de leur alimentation et de leur agriculture. Pour la FNSEA, c'est l'agrobusiness qui doit être  maître de l'agriculture et de l'alimentation des peuples. Ce que la FNSEA-JA appelle souveraineté alimentaire c'est en fait une sécurité alimentaire c'est-à-dire simplement l'approvisionnement suffisant de la France. "Pour Arnaud Rousseau, la souveraineté est indissociable d’une agriculture exportatrice et intégrée dans les marchés internationaux. Il prône une division du travail agricole à l’échelle de la planète avec des spécialisations régionales. Ce n’est pas l’agriculture française qui répondra à elle seule à tous les besoins des Français. Elle doit produire ce qu’elle sait produire. Et le reste doit être importé en fonction des besoins des consommateurs. En contrepartie, il existe une concurrence. Et donc, si la réglementation fait que l’on produit plus cher, selon lui l’agriculture française ne sera pas compétitive. On ne sera ainsi pas souverains" explique Anthony Hammon. Pour la FNSEA, l'agriculture française doit produire ce qu'elle sait faire avec le moins de normes possibles pour exporter sur le marché mondial en position concurrentielle. Pour le reste, elle doit l'importer et ne pas chercher à le produire. Sa souveraineté n'est en fait qu'une balance commerciale agricole équilibrée : que nos exports financent nos imports, le tout dans une absence de prix rémunérateurs et de normes écologiques sociales et sanitaires. On est très loin de la souveraineté alimentaire : les citoyens et les agriculteurs ne sont absolument plus maîtres de rien. 

Actions et manifestations dans la crise actuelle (manifestations hiver 2023-2024 et novembre 2024)
La FNSEA-Ja s'est fait débordée l'an dernier au départ des manifestations de novembre. C'est tout d'abord la Coordination rurale qui est partie contre la taxation du gazole non routier que la FNSEA-JA avait négociée avec le gouvernement à l'été 2023. Plus grave pour elle encore, sa base militante a rejoint la CR sur les manifestations avec la problématique du GNR, des revenus, des normes... La FNSEA-JA a du rejoindre le mouvement pour reprendre la main sur ses troupes militantes et pour cela elle a choisi des revendications qu'elle pouvait partager avec sa base. La demande de revenu n'est pas au coeur de ses préoccupations, nous l'avons vu ; le GNR c'est un peu difficile de mettre comme revendication première quelque chose que l'on a choisi 3 mois plutôt. Ah tiens, les normes et surtout les normes écologiques, ça, ça marche. La FNSEA-JA venait de se trouver une revendication commune avec sa base, ce qui nous l'avons vu est rare, car elle a toujours poussé l'agriculture contre eux. Cette concentration du mouvement contre l'écologie se voit dans le fait qu'elle a rappelé ses troupes dès l'annonce de l'abandon du plan écophyto sans avoir obtenu quoi que ce soit de réel sur les revenus. Entre temps, de bonnes actions ciblées contre l'écologie avaient permis de défouler sa base et surtout de la récupérer. Son amour des pesticides s'était exprimé le 28/11/20 en murant l'ANSES qui veille à la santé et à l'environnement des populations et des agriculteurs. Elle a aussi fait murer l'Institut National de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) accusé de pousser l'agriculture française à la décroissance... ce qui est un comble quand on connait les domaines de recherche de l'institut qui est tout sauf décroissant. La FNSEA s'en est aussi pris à l'Agence de l'Eau de Rouen. Le 16 janvier 2024, la ville de Toulouse a subi une attaque inacceptable de la FNSEA-JA qui a ravagé le centre ville de Toulouse avec dépots de lisier, fumiers, déchets agricoles, pneus, incendies sur la voie publique et saccage de bâtiments ciblés: la cité administrative, l'agence de l'eau Adour-Garonne, les locaux d'associations ou d'EELV... Un saccage encore plus violent que celui du 22 novembre dans la même ville qui avait déjà fait 90 000 euros de dégâts (ici). 
De telles manifestations ne seraient acceptées de personne, d'aucun syndicat, ni même d'un autre syndicat agricole. La manifestation pacifique et sans dégradation de la Conf devant la Bourse de Paris a par exemple entrainé deux arrestations violentes. Toutefois comme c'est la FNSEA-JA, c'est autre chose. Le ministre de l'Intérieur de l'époque Gérald Darmanin disait le 25/01/24 : "On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS». De l'empathie, de la compréhension? Non de la sympathie et de la collusion entre un gouvernement productiviste et anti écologique bien content de s'appuyer sur ce syndicat productiviste et anti-écologique avec qui il a toujours travaillé pour conduire l'agriculture à sa perte tout en détruisant l'environnement et en faisant disparaitre les agriculteurs.

Ces manifestations ont donc encore montré ce qu'est vraiment la FNSEA-JA depuis ses origines. Elle s'appuie sur le mythe de l'unité du monde agricole qu'elle prétend représenter comme le montre encore son slogan pour les élections de 2025 : "Tous ensemble, nous sommes l'agriculture". Ce mythe lui a aussi permis de cogérer avec l'Etat l'agriculture française depuis 1946 vers toujours plus de productivisme, des exploitations toujours plus grandes, des revenus toujours plus bas, toujours plus de libre-échange et moins d'écologie, avec surtout toujours moins d'agriculteurs. C'est ce dernier caractère, la duplicité, qui incarne le plus ce syndicat : il travaille sans relâche et avec succès depuis 1946 à la disparition de ses membres. Il pousse d'ailleurs le cynisme à utiliser la colère de sa base militante, les manifestations violentes de ses agriculteurs, pour pousser sa vision de l'agriculture qui les conduit eux à leurs pertes. C'est certainement à eux maintenant de rompre avec ce syndicat qui est la cause de toutes les crises agricoles actuelles.

Et maintenant au vote

Les élections de janvier peuvent être une occasion de faire trembler la forteresse agricole (selon le titre de Gilles Luneau) qu'est la  FNSEA-JA, même si le système électoral très majoritaire veille à son maintien en place. En effet, celui qui arrive en tête, quelque soit son score, remporte la moitié des sièges à la chambre d'agriculture et l'autre moitié des sièges est répartie selon les voix. C'est un autre exemple des faveurs accordées par l'Etat à son syndicat chéri. Mais cela aboutit à une très mauvaise représentation : en Ardèche en 2019, la FNSEA-JA en tête avait obtenu 48% des voix et a donc obtenu la moitié des 18 sièges soit 9 et la moitié des 9 sièges restant soit 5, pour un total de 14 sièges sur 18 pour 48% des voix. La Conf arrivée 2e à 37% des voix soit seulement 11% de moins a obtenu 3 sièges. De même au niveau national, avec 55% des voix, la FNSEA-JA a remporté 95% des chambres d'agriculture. 
Toutefois faire trembler la forteresse reste possible. Lors des élections de 2019, la participation n'a été que de 46% et il y a donc une réserve de voix pour faire changer le modèle agricole par le choix d'un syndicat puisque chacun porte des modèles et propositions face à la crise bien différents. 
On pourrait simplifier l'offre en reprenant un titre de Sergio Leone, Le Bon, la Brute et le Truand. Ce dernier serait la FNSEA-JA qui depuis 1946 conduit les agriculeurs français à leur disparition en les utilisant au nom de l'unité agricole mais en servant les intérêts d'une élite productiviste. La Coordination rurale ferait figure de brute avec sa colère anti-écologique et confuse pour tout modèle. Reste le Bon, la Confédération paysanne qui a un modèle d'agriculture paysanne fort répondant aux différentes crises du monde agricole, alors "Soyons fermes". 

© Copyright SiteName. Tous droits réservés.